Que Verlaine décline un de ses rêves en poème, why not. Mais lorsqu’il tombe amoureux d’une meuf qu’il n’a jamais vue, y a de quoi s’y perdre ! On t’aide à y voir plus clair : Mon rêve familier analyse et commentaire linéaire, c’est par ici ! 👋
Paul Verlaine Mon rêve familier : Présentation
Fiche d’identité 🔍
Auteur | Paul Verlaine |
Genre | Poésie |
Recueil | Poèmes Saturniens |
Date | 1866 |
Forme du poème | Sonnet |
Un recueil fondateur
Paul Verlaine compose ses Poèmes Saturniens alors qu’il n’a que 22 ans. C’est encore un p’tit jeunot.
Bon, ça ne veut pas non plus dire qu’il se la coule douce. Son père meurt en 1865. Sa tristesse devient insupportable. Il perd sa foi en Dieu et se réfugie dans les bras de deux figures réconfortantes : sa mère et surtout sa cousine Elisa qu’il aime en secret bien qu’elle soit mariée.
Il fut élevé par la douleur […] c’est la douleur qui l’a soulevé quand ses angoisses devinrent semblables aux remords.
Maurice Barès
Cahiers, 1896
Dans sa première œuvre, il est encore pas mal influencé par les écrivains des générations précédentes. S’en inspirer sans les imiter lui permet de fonder sa propre écriture poétique.
👉 Les Romantiques
La section “Paysages tristes” rappelle par son titre les paysages états d’âme des romantiques. Mais au lieu de voir dans la nature le miroir de ses émotions, il crée son propre monde poétique.
👉 Les Parnassiens
Au XIXe siècle, Le Parnasse veut renouveler la poésie pour rompre définitivement avec le Romantisme. Les Parnassiens veulent “L’art pour l‘art” et prônent l’impassibilité.
Dans leur sillage, les Poèmes saturniens célèbrent toutes les formes artistiques, avec des références musicales et picturales. Contrairement aux Parnassiens, petits ingrédients servent à construire un univers intime et à dire indirectement les émotions intérieures.
👉 Les Symbolistes
Verlaine est un fan absolu de Baudelaire. Il lui emprunte son ton ironique et regarde le monde avec distance, à travers le filtre de ses émotions. Baudelaire et lui ont tous les deux une même rèf : la planète Saturne, qui renvoie dans l’Antiquité à Cronos, le père de Zeus qui a voulu manger ses enfants. Sympa…
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« Mon rêve familier » dans l’œuvre
💡 Le savais-tu ?
L’ouvrage se compose de plusieurs parties :
- Un poème préliminaire : “Les Sages d’autrefois… ”
- Un prologue
- Section 1 : “Melancholia”
- Section 2 : “Eaux fortes”
- Section 3 : “Paysages Tristes”
- Section 4 : “Caprices”
- Des poèmes indépendants
- Un épilogue
“Mon rêve familier” appartient à la première section, intitulée “Melancholia”. Le titre est une rèf à la gravure de Dürer, une allégorie de la mélancolie. Avec ce titre, l’auteur annonce qu’il la donnera à voir sous plusieurs formes, comme la “Résignation” ou “L’Angoisse”.
Dans “Mon rêve familier”, on retrouve les principales caractéristiques de la section 👇
La mélancolie
Le “rêve” évoque l’univers poétique et se distingue facilement de la réalité. Forcément, l’émotion qui domine est la frustration : dans son rêve, le poète est accompagné d’une femme réconfortante dont il doit se séparer au réveil. Il est alors renvoyé à sa solitude.
La femme désirée
Elle doit le réconforter dans les moments difficiles et l’accepter avec ses défauts de mec torturé par la vie. Ce fantasme est incarné par la figure de sa cousine Elisa avec qui il a grandi.
C’est le cas dans le poème “Vœu” ! 👇
Ô la femme à l’amour câlin et réchauffant, / Douce, pensive et brune, et jamais étonnée, / et qui parfois vous baise au front, comme un enfant !
« Vœu »
Vers 12 à 14
Le lyrisme verlainien
Chez les Romantiques, le registre lyrique permet l’expression des sentiments. Et bien sûr, leur sentiment préféré, c’est l’amour ! Mais dans l’univers de Verlaine, l’amour aussi est empreint de mélancolie.
Retrouves ça dans “Lassitude” … 👇
De la douceur, de la douceur, de la douceur !
« Lassitude »
Vers 1
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Paul Verlaine Mon rêve familier, La forme
Le texte 📝
Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D’une femme inconnue, et que j’aime, et qui m’aime
Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m’aime et me comprend.
Car elle me comprend, et mon cœur, transparent
Pour elle seule, hélas ! cesse d’être un problème
Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,
Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.
Est-elle brune, blonde ou rousse ? – Je l’ignore.
Son nom ? Je me souviens qu’il est doux et sonore
Comme ceux des aimés que la Vie exila.
Son regard est pareil au regard des statues,
Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
L’inflexion des voix chères qui se sont tues.
La structure 🧩
💡 Le sonnet marotique
C’est une forme poétique régulière dont tu dois retenir les caractéristiques :
- Les alexandrins : des vers de 12 syllabes
- 2 quatrains (strophes de 4 vers) et 2 tercets (strophes de 3 vers) qu’il faut lire comme formant un seul sizain (strophe de 6 vers).
- Des rimes sur le modèle ABBA ABBA CCD EED
- Les rimes masculines et féminines (qui se terminent par un [e] muet) alternent.
- Le vers 14 est appelé “pointe”. C’est une chute qui invite à une autre lecture du poème.
Regarde bien le dernier tercet de “Mon rêve familier” : les rimes ne suivent pas le modèle traditionnel. Elles sont alternées : EDE. C’est bien volontaire ! Verlaine s’éloigne de la forme admise pour exprimer les particularités de son écriture poétique. La mélancolie lui donne un ton dissonant, comme un instrument mal accordé.
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Mon rêve familier analyse strophe par strophe
Maintenant que tu sais tout sur les particularités de la poésie de Verlaine, on passe à l’analyse de Mon rêve familier. Comme tu l’as compris : c’est un sonnet. ll doit en respecter les 2 mouvements : les deux quatrains d’un côté, les deux tercets (ou le sizain) de l’autre. Capito ? 🙃
Propositions de problématiques :
- Dans quelle mesure la musicalité exprimée est-elle dissonante ?
- Comment l’exaltation de la femme aimée traduit-elle la mélancolie du poète ?
- En quoi le rêve est-il l’expression du monde mélancolique de Verlaine ?
Mouvement 1 : Un lieu idéal, remède à la mélancolie.
Quatrain 1 : L’entrée dans un rêve inquiétant
✒ Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
- Par rapport au pronom possessif “mon” du titre, le démonstratif “ce’” instaure une distance. Celle-ci est confirmée par l’adjectif “étrange” qui est l’exact opposé de la familiarité.
- L’assonance en [en] donne le sentiment que le rythme du deuxième hémistiche ralentit : le lecteur est immédiatement happé par une atmosphère hypnotique.
👉 Contrairement à ce que supposait le titre, le lecteur pénètre dans un univers inquiétant.
✒ D’une femme inconnue, et que j’aime, et qui m’aime
Le vers est scindé en 2 hémistiches. Ils véhiculent deux sentiments opposés, l’étrangeté et la familiarité, introduisant un trouble.
- “D’une femme inconnue” montre que le rêve est un univers étranger au réel
- “et que j’aime, et qui m’aime” désigne à l’inverse une relation de réciprocité bien réelle. Elle est traduite par le parallélisme de construction “et que/qui … aime”. Au centre, le pronom à la première personne du singulier (“j’ / m’”) centre la phrase sur le poète et montre que ce fantasme est une construction de sa pensée.
✒ Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même
- L’enjambement entre les vers 2 et 3 est renforcé par la conjonction de coordination “et” en début de vers. On en compte onze occurrences dans le poème. La ponctuation semble ne pas avoir de prises sur le poète. Celui-ci est entièrement plongé dans cette autre réalité.
- La récurrence du rêve est soulignée par la locution adverbiale “chaque fois” qui est isolée au milieu du vers, entre deux virgules.
- Le rythme ralentit au deuxième hémistiche (3/3//6) pour traduire la langueur du poète enlisé dans son rêve. La deuxième partie de la structure d’opposition (“ni/ni”) est rejetée en début du vers suivant et renforce ce sentiment.
✒ Ni tout à fait une autre, et m’aime et me comprend.
- La répétition de la structure du vers 2 rappelle que l’objet du fantasme est une figure réconfortante.
- Cette première strophe se termine sur le verbe “comprendre”. Le mal-être de l’écrivain est de ne pas être compris des autres hommes. La compagne qui apparaît dans le rêve devient “familière” car elle accepte d’entrer dans l’univers étrange dans lequel il évolue.
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Quatrain 2 : Une femme idéale, remède à la mélancolie du poète.
✒ Car elle me comprend, et mon cœur, transparent
- Les allitérations en [r] et [c] sont des sonorités rudes. Elles font ressentir la douleur de celui qui écrit.
- À l’inverse, l’allitération en [m] introduit la douceur de l’amour, tout comme la rime interne en [en].
✒ Pour elle seule, hélas ! cesse d’être un problème
- “elle seule” est répété en début de chaque vers du quatrain, c’est une anaphore. La figure féminine est une figure idéale, car unique. Elle ne trouve pas d’équivalent dans la réalité.
- L’interjection “hélas !” exprime le désespoir éprouvé au réveil.
✒ Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,
La couleur “blême” de sa peau renvoie aux symptômes physiques de la mélancolie. L’étymologie du mot “mélancolie” signifie en grec “bile noire”. Dans les croyances antiques, cette substance était prédominante dans un corps gouverné par le dieu Saturne. On pensait que la peau prenait une teinte “blême”.
✒ Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.
- “Rafraîchir” : le froid évoque le fantasme d’un amour mélancolique, en opposition à la chaleur de la passion
- “ en pleurant” : le participe présent donnent l’impression d’entendre les pleurs de la femme fantasmée. La mélancolie est donc contagieuse !
Mouvement 2 : Le retour à la condition du poète solitaire
Tercet 1 : Un souvenir condamné à s’effacer
✒ Est-elle brune, blonde ou rousse ? – Je l’ignore.
- L’incertitude introduit une rupture avec le premier mouvement. Le rêve s’efface.
- “je l’ignore” est conjugué au présent d’énonciation : l’écrivain fait revivre son souvenir pour tenter de le saisir.
✒ Son nom ? Je me souviens qu’il est doux et sonore
Le “nom” de cette femme n’est pas précisé, car ce n’est pas son identité qui importe. C’est sa présence et la “douceur” qu’elle amène dans le poème et qui contraste avec la douleur du poète.
✒ Comme ceux des aimés que la Vie exila.
- Une comparaison est introduite par l’adverbe “comme”. Elle souligne le caractère irréel de cette femme, qui, comparée à des figures plurielles, devient tout le monde et personne à la fois.
- “exila” est conjugué au passé simple pour marquer un passé révolu. L’auteur se sait déjà condamné à la solitude.
💡 Le savais-tu ?
Ce motif du poète incompris trouvant refuge dans un univers poétique à part est très courant. Retrouves le dans “l’Albatros” de Baudelaire.
Tercet 2 : Le poète renvoyé à sa solitude
✒ Son regard est pareil au regard des statues
- “les statues” sont un euphémisme pour désigner “les morts” qui hantent le poète, condamné à les faire revivre dans ses pensées, à défaut de les côtoyer dans le monde réel.
- Les “statues” évoquent aussi l’inertie causée par le sentiment mélancolique. L’écriture poétique agit alors comme une échappatoire.
💡 T’as la rèf’ ?
Cette mélancolie qui frappe sans raison est typique du spleen baudelairien ! Celui qui en est atteint se complait dans la recherche d’un idéal, au risque de vivre hors de son temps. Dans le poème « À une passante », Baudelaire est foudroyé par la vision d’une femme idéale qu’il ne parvient pas à retenir, le laissant dans un état nostalgique 👇
“Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d’une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l’ourlet ;
Agile et noble, avec sa jambe de statue.”
✒ Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
- L’accent est posé sur le mot “voix”, placé juste avant la césure. Celle-ci hante le texte, comme le montrent le rythme saccadé (4/2//2/2/2) et la polysyndète (l’accumulation de mots de liaisons).
- Elle apparaît comme une mélodie lancinante par l’accumulation des adjectifs pour la décrire, sur un rythme ternaire : “lointaine, et calme, et grave”. L’assonance en [a] accentue les impressions de distance et de gravité.
✒ L’inflexion des voix chères qui se sont tues.
- L’enjambement entre les vers 13 et 14 renforce l’effet de chute apporté par la pointe du sonnet.
- Le participe passé “se sont tues” exprime un passé révolu. La femme est réduite au silence.
💡 Le récap’
Aller, on te fait un dernier ptit récap’ pour la route ! “Mon rêve familier” c’est :
👉 Un mec incompris qui se réfugie dans un rêve réconfortant où il s’invente une amante parfaite mais inexistante.
👉 La construction d’un univers mélancolique qui ne vit que par la musicalité et qui est constamment menacé par la disparition.
👉 La mélancolie sous une de ses formes : la frustration. Autrement dit, c’est l’incapacité à vivre dans l’instant. Sauf qu’à toujours être nostalgique de ce qu’on n’a plus, on finit par être seuls avec des fantômes. Dommage, non ?
Voilà, Mon rêve familier analyse et commentaire, c’est terminé ! T’as maintenant toutes les clefs pour passer dessus à l’oral ou le citer en dissert’ 😉.
FAQ ✅
Quel est le thème du poème Mon rêve familier ?
Le thème principal du poème « Mon rêve familier » de Paul Verlaine est le rêve et l’évasion. Ce poème, tiré du recueil « Fêtes galantes » (1869), dépeint un rêve récurrent du poète, dans lequel apparaît une femme mystérieuse et changeante. Le poème aborde également des thèmes connexes comme l’amour idéalisé, le mystère et la solitude.
Qui est la femme dans mon rêve familier ?
La femme dans « Mon rêve familier » est une figure mystérieuse, changeante et insaisissable. Son identité précise n’est jamais révélée. Verlaine la décrit comme étant à la fois douce et cruelle, parfois triste et parfois joyeuse. Cette femme peut être vue comme une incarnation de l’idéal féminin de Verlaine, un idéal qui reste cependant inaccessible et énigmatique.
Pourquoi Mon rêve familier est un poème lyrique ?
« Mon rêve familier » est considéré comme un poème lyrique en raison de sa focalisation sur les sentiments intimes du poète. La lyrique est un genre de poésie qui exprime des émotions personnelles et profondes, et ce poème est un excellent exemple de cela. Verlaine y exprime ses sentiments de solitude, son désir d’évasion et son amour pour une femme idéalisée et insaisissable.
Dans la fiche vous parlez d’un sonnet marotique avec une différence les rimes du dernier tercet ne suivent pas la règle EED mais sont inverti en EDE. Ne s’agit-il pas donc d’un sonnet Peletier suivant la règle ABBA/ ABBA/ CCD/ EDE ?
Bonjour Isabelle,
L’inversion du dernier tercet en EDE implique en effet un sonnet Peletier (ou sonnet français).
Merci pour ce complément !
À très vite 😉