Le droit Ă lâavortement, qui est un acte mĂ©dical dans le but de mettre fin Ă une grossesse, reprĂ©sente bien plus quâun choix mĂ©dical : câest aussi un symbole de libertĂ© et dâĂ©galitĂ© pour les femmes.
Pourtant, derriĂšre ce droit reconnu en France, se cache une histoire complexe, marquĂ©e par des luttes acharnĂ©es et des dĂ©bats passionnĂ©s. Car si aujourdâhui les femmes peuvent avorter en toute lĂ©galitĂ©, cela nâa pas toujours Ă©tĂ© le cas, et dans de nombreux pays, ce droit reste fragile, voire inexistant.
De la rĂ©pression sĂ©vĂšre du dĂ©but du XXe siĂšcle Ă lâadoption de la loi Veil en 1975, en passant par les rĂ©formes les plus rĂ©centes, laisse-nous te raconter lâhistoire de lâĂ©volution de lâun des droits les plus essentiels Ă la libertĂ© et Ă lâĂ©galitĂ© des femmes.
Les balbutiements du droit Ă l’avortement en France đ
Avant toute chose, on te fait une petite remise en contexte de lâĂ©volution du droit Ă lâavortement en France. âŹïž
Un droit inexistant et pĂ©nalisĂ© avant la loi Veil âïž
Jusquâau milieu du XXe siĂšcle, lâavortement Ă©tait strictement interdit en France et surtout, sĂ©vĂšrement rĂ©primĂ©.
En effet, la loi du 31 juillet 1920 interdisait non seulement l’Interruption Volontaire deGrossesse (ou IVG), mais aussi la promotion et la vente de moyens contraceptifs. En fait, Ă lâĂ©poque, le but Ă©tait dâencourager la natalitĂ© aprĂšs la PremiĂšre Guerre mondiale. Tu tâen doutes, avec de telles mesures, avorter Ă©tait alors considĂ©rĂ© comme un crime. Au-delĂ de ça, câĂ©tait un acte passible de lourdes sanctions, allant de la prison jusquâĂ la peine de mort dans certains cas.
âĄïž Lâaffaire Marie-Louise Giraud
Un des exemples les plus marquants de cette rĂ©pression est lâaffaire Marie-Louise Giraud, qui Ă©tait ce que lâon appelait une « faiseuse dâanges » (avorteuse clandestine).Â
Elle a été guillotinée en 1943 sous le régime de Vichy aprÚs avoir été dénoncée par une lettre anonyme. En effet, entre 1940 et 1942, elle avait pratiqué 27 avortements à son domicile, dont un fatal pour une de ses patientes.
Face à ces restrictions, des mouvements féministes ont rapidement commencé à se mobiliser dans les années 1960.
Puis, câest en 1971 que le « Manifeste des 343 », signĂ© par des femmes dĂ©clarant publiquement avoir avortĂ©, marque un tournant dans la lutte pour la lĂ©galisation de lâIVG. Ce texte, publiĂ© dans Le Nouvel Observateur, dĂ©nonçait lâhypocrisie dâune sociĂ©tĂ© oĂč lâavortement Ă©tait pratiquĂ© clandestinement par des milliers de femmes, souvent dans des conditions sanitaires dĂ©sastreuses.
Ton premier cours particulier est offert ! đ
Nos profs sont passés par les meilleures écoles et universités.
1975 : la loi Veil, une avancĂ©e majeure â
Câest dans ce contexte que Simone Veil, alors ministre de la SantĂ© sous la prĂ©sidence de ValĂ©ry Giscard dâEstaing, porte le projet de loi visant Ă dĂ©pĂ©naliser lâavortement.
Ă lire aussi
DĂ©couvre notre fiche de lecture sur l’Ćuvre Une Vie, de Simone Veil. đ
AprĂšs de longs dĂ©bats houleux Ă lâAssemblĂ©e nationale, marquĂ©s par une forte opposition conservatrice, la loi est finalement adoptĂ©e le 17 janvier 1975, dâabord Ă titre expĂ©rimental pour cinq ans.
đĄ Le savais-tu ?
Cette loi autorisait lâInterruption Volontaire de Grossesse dans un dĂ©lai de dix semaines de grossesse, sous certaines conditions :
âĄïž La femme doit exprimer une demande motivĂ©e auprĂšs dâun mĂ©decin.
âĄïž Un dĂ©lai de rĂ©flexion de sept jours est imposĂ© avant lâintervention.
âĄïž Les mĂ©decins et Ă©tablissements peuvent refuser de pratiquer lâIVG en invoquant une clause de conscience.
Ensuite, câest en 1979 que la loi devient dĂ©finitive, supprimant certaines restrictions et permettant un meilleur accĂšs Ă lâavortement pour toutes.
Tu lâauras compris, cette loi, câest bien plus quâune simple rĂ©glementation en plus ou en moins, câest aussi et surtout un tournant historique dans la reconnaissance des droits des femmes. Elle marque la fin dâune Ăšre oĂč lâavortement Ă©tait clandestin et dangereux, et surtout le dĂ©but dâune nouvelle oĂč les femmes peuvent disposer librement de leur corps, sans risquer leur vie ou la prison.
Ă lire aussi
DĂ©couvre les meilleurs livres fĂ©ministes. đȘ
De la loi Veil aux rĂ©formes rĂ©centes âïž
Si la loi Veil de 1975 a constituĂ© une avancĂ©e majeure pour les droits des femmes, elle nâa toutefois pas mis fin aux dĂ©bats autour du droit Ă lâavortement. Depuis son adoption, plusieurs rĂ©formes ont modifiĂ© son cadre juridique pour amĂ©liorer lâaccĂšs Ă lâIVG en France. âŹïž
LâĂ©volution des conditions dâaccĂšs Ă lâIVG đ
Tu lâauras compris, la loi Veil autorisait initialement lâIVG jusquâĂ 10 semaines de grossesse (soit 12 semaines dâamĂ©norrhĂ©e).
Mais ce dĂ©lai a progressivement Ă©tĂ© rallongĂ©, puisquâen 1999, la loi portĂ©e par Martine Aubry a repoussĂ© ce dĂ©lai Ă 12 semaines de grossesse (14 semaines dâamĂ©norrhĂ©e). Le but ? Permettre Ă davantage de femmes dây avoir recours sans pour autant devoir se rendre Ă lâĂ©tranger, ce qui Ă©tait le cas Ă lâĂ©poque.
Dâautres mesures sont ensuite venues assouplir les conditions dâaccĂšs Ă lâavortement. En effet, cette mĂȘme loi a notamment permis de supprimerlâautorisation parentale obligatoire pour les mineures. Ils pouvaient dĂ©sormais avorter anonymement, avec pour seule condition dâĂȘtre accompagnĂ©s par un adulte de leur choix. Ensuite, elle mettait fin au dĂ©lai de rĂ©flexion obligatoire dâune semaine entre les deux consultations mĂ©dicales, qui Ă©tait critiquĂ© comme une forme de culpabilisation pour les jeunes femmes souhaitant avorter.
đĄ Le savais-tu ?
Plus rĂ©cemment, la loi du 2 mars 2022 a de nouveau prolongĂ© le dĂ©lai lĂ©gal, le faisant passer Ă 14 semaines de grossesse (16 semaines dâamĂ©norrhĂ©e).
Le remboursement et la gratuitĂ© de lâIVG đ°
Autre Ă©volution majeure : la prise en charge financiĂšre de lâIVG. Initialement, lâintervention nâĂ©tait remboursĂ©e quâĂ 80 % par la SĂ©curitĂ© sociale, ce qui laissait Ă la charge des femmes des frais qui Ă©taient, pour beaucoup, dissuasifs.
Et ce nâest quâen 2013, sous le gouvernement de François Hollande, que lâIVG a commencĂ© Ă ĂȘtre entiĂšrement remboursĂ©e par lâAssurance maladie. Une avancĂ©e majeure dans lâhistoire du droit Ă lâavortement, qui permettait un accĂšs Ă©galitaire Ă toutes et ce, sans distinction de ressources.
Cette mesure nâest pas venue seule. Elle sâaccompagnait Ă©galement dâune politique de sensibilisation et de lutte contre la dĂ©sinformation, notamment avec la suppression du dĂ©lit dâentrave numĂ©rique Ă lâIVG en 2017, qui visait les sites diffusant volontairement de fausses informations pour dissuader les femmes dâavorter. Ensuite, la crĂ©ation dâun numĂ©ro vert, le 0800 08 11 11, pour informer et accompagner les femmes dans leurs dĂ©marches.
đĄ Le savais-tu ?
Ce numĂ©ro ne permet pas seulement dâinformer les femmes sur les questions liĂ©es Ă lâIVG, mais aussi de rĂ©pondre aux nombreuses interrogations que lâon peut avoir Ă propos de la contraception et la sexualitĂ©.
Lâinscription du droit Ă lâavortement dans la Constitution đïž
Au vu des nombreux dĂ©bats qui pouvaient encore subsister sur le droit Ă lâavortement, en France comme Ă lâĂ©tranger, un projet de rĂ©vision constitutionnelle a Ă©tĂ© adoptĂ© en 2024 pour sĂ©curiser ce droit. Câest dans cette optique que le 4 mars 2024, 925 parlementaires rĂ©unis en CongrĂšs Ă Versailles ont votĂ© Ă 780 voix en faveur de lâinscription de la « libertĂ© garantie » pour les femmes de recourir Ă lâinterruption volontaire de grossesse (IVG) dans la Constitution française.
đĄ Le savais-tu ?Â
Avec cette dĂ©cision historique, la France est devenu le premier pays au monde Ă graver le droit Ă lâavortement dans sa Constitution, faisant de lâIVG une libertĂ© protĂ©gĂ©e par la Loi suprĂȘme.
Un droit encore menacĂ© dans le monde đ
MalgrĂ© les avancĂ©es considĂ©rables du droit Ă lâavortement en France, de nombreux pays Ă travers le monde continuent de restreindre, voire dâinterdire, lâaccĂšs Ă lâIVG. Selon lâONG Center for Reproductive Rights, plus de 40 % des femmes en Ăąge de procrĂ©er dans le monde vivent dans un pays oĂč lâIVG est restreinte ou interdite. âŹïž
Des interdictions totales dans certains pays đ«
Dans 21 pays, lâavortement est strictement interdit, et ce, sans aucune exception, mĂȘme en cas de viol, dâinceste ou de danger pour la santĂ© de la mĂšre.
Parmi eux, on retrouve des pays comme :
-
Le Salvador, oĂč lâavortement est puni de lourdes peines de prison, pouvant aller jusqu’Ă 30 ans pour certaines femmes accusĂ©es dâavoir avortĂ©, mĂȘme involontairement ;
-
Le Nicaragua, oĂč lâIVG est totalement interdite, y compris lorsque la vie de la mĂšre est en danger ;
-
Le Honduras, oĂč lâinterdiction est inscrite dans la Constitution, rendant toute rĂ©forme particuliĂšrement difficile.
đĄ Le savais-tu ?
En Andorre, oĂč lâavortement est strictement interdit, Vanessa Mendoza CortĂšs, prĂ©sidente de lâassociation Stop ViolencĂšs, encourait jusquâĂ quatre ans de prison et une amende de 30 000 ⏠pour avoir dĂ©fendu le droit Ă lâavortement devant le ComitĂ© des Nations unies pour lâĂ©limination de la violence. AprĂšs trois ans de procĂ©dure jugĂ©e inĂ©quitable, elle a finalement Ă©tĂ© acquittĂ©e le 17 janvier 2024.
Dans ces pays, les femmes nâont aucun recours lĂ©gal, ce qui expose celles souhaitant y avoir recours Ă des grossesses non dĂ©sirĂ©es, mais aussi Ă des risques sanitaires majeurs en cas dâavortement clandestin.
Un avortement non sécurisé est un acte destiné à mettre fin à une grossesse effectué par des personnes ne disposant pas des qualifications adéquates ou bien se déroulant dans un environnement non conforme aux normes médicales minimales, ou encore dans ces deux circonstances.
L’ONS
Besoin d’un prof particulier ? âš
Nos profs sont lĂ pour t’aider Ă progresser !
Des restrictions sĂ©vĂšres : un accĂšs sous conditions âïž
Dâautres pays nâinterdisent pas totalement lâavortement, mais lâencadrent par des conditions qui restent strictes, limitant son accĂšs. Dans ces cas-lĂ , lâIVG nây est possible que dans certains cas bien dĂ©finis, comme :
-
Un danger pour la santé de la mÚre (par exemple au Pérou ou en Thaïlande).
-
Un cas de viol ou dâinceste (comme en Bolivie, en IndonĂ©sie, ou en Pologne).
-
Des malformations graves du fĆtus (par exemple au Maroc ou en Iran).
âĄïž Au BrĂ©sil, mĂȘme si lâaccĂšs Ă lâIVG est encore limitĂ© aux cas de viol, malformations grave du fĆtus ou risques pour la mĂšre, la Cour suprĂȘme se penche actuellement sur une demande de dĂ©pĂ©nalisation qui pourrait faire Ă©voluer ce droit.
Les pays oĂč lâIVG est un droit, mais avec des limites âł
MĂȘme parmi les pays qui autorisent lâavortement, lâaccĂšs nây est pas toujours garanti. Et pour cause : certains Ătats imposent des dĂ©lais trĂšs courts ou des restrictions administratives qui compliquent la procĂ©dure.
-
Au Royaume-Uni, lâIVG est lĂ©gale, mais une loi partiellement assouplie en 1967, impose l’autorisation de deux mĂ©decins pour dĂ©terminer si la vie de la mĂšre est en danger. L’IVG est donc autorisĂ©e sous avis mĂ©dical, et pratiquĂ©e jusqu’Ă 24 semaines de grossesse.
-
En Italie, bien que lâavortement soit lĂ©gal, 70 % des gynĂ©cologues invoquent une clause de conscience pour refuser de le pratiquer, ce qui rend lâaccĂšs trĂšs difficile dans certaines rĂ©gions.
-
Aux Ătats-Unis, depuis lâabrogation de Roe v. Wade en 2022, chaque Ătat dĂ©cide de sa propre lĂ©gislation. RĂ©sultat ? Une vingtaine dâEtats, principalement situĂ©s dans le sud et le centre du pays, ont dĂ©crĂ©tĂ© des interdits et de fortes restrictions.
đą Des chiffres rĂ©vĂ©lateurs
Quelle que soit la lĂ©gislation, le taux dâavortements reste similaire dans le monde. 37 pour 1 000 femmes dans les pays oĂč lâIVG est interdite, contre 34 pour 1 000 lĂ oĂč elle est autorisĂ©e, selon Amnesty Internationalc.
Avec de tels chiffres, la diffĂ©rence entre les pays qui interdisent lâavortement et ceux qui lâautorisent se trouve dans le danger pour la santĂ© des femmes. En effet, plus de 22 millions dâavortements non sĂ©curisĂ©s sont pratiquĂ©s chaque annĂ©e. Et dans les pays oĂč il est interdit ou restreint, les IVG clandestines sont la troisiĂšme cause de mortalitĂ© maternelle. Infections, hĂ©morragies et complications graves sont tant de consĂ©quences qui peuvent faire suite de fautes dâaccĂšs Ă des soins mĂ©dicaux sĂ©curisĂ©s.
Tu lâauras compris, le droit Ă lâavortement est le fruit dâun combat de longue haleine, portĂ© par des gĂ©nĂ©rations de militantes dĂ©terminĂ©es Ă garantir aux femmes la libertĂ© de disposer de leur corps. Mais ce droit est loin dâĂȘtre un acquis dĂ©finitif. Au contraire, il reste, aujourdâhui encore, fragile et constamment remis en question.
Cette rĂ©alitĂ© rappelle une chose essentielle : les droits des femmes ne sont jamais dĂ©finitivement acquis. Au contraire, ils sont le reflet dâĂ©volutions sociĂ©tales, mais aussi de rĂ©sistances politiques et idĂ©ologiques qui persistent. DĂ©fendre et prĂ©server le droit Ă lâavortement, câest aussi lutter pour une sociĂ©tĂ© plus juste, dans laquelle chaque femme peut disposer de son corps comme elle lâentend, en toute sĂ©curitĂ© et surtout sans crainte.