L’histoire de l’abolition de l’esclavage en France 👇

Solène Clausse - Mis à jour le 31/08/2022
abolition de l esclavage en france

L’année 2022 marque les dix ans du mémorial de l’abolition de l’esclavage de Nantes, un des principaux ports de la traite atlantique du XVIe au XIXe siècle. Depuis l’abolition de l’esclavage en France en 1848, il a fallu plus de 150 ans pour qu’une vraie démarche mémorielle soit accomplie.

Ton programme d’Histoire en est le parfait exemple, que tu sois en seconde ou en première. On regarde ça ensemble 😉 

La Révolution française et le premier décret

Tu savais qu’il n’y avait pas une date de l’abolition de l’esclavage, mais deux ? Et même trois, si l’on considère le tout premier édit émis par le roi Louis le Hutin le 3 juillet 1315 qui statue l’affranchissement de tout esclave arrivant sur le sol français. 

Pas de panique, on ne va pas te déballer une histoire vieille de sept cents ans 😆. Par contre, il y a bien deux dates qui te concernent, puisque l’esclavage a été aboli une première fois en 1794 avant d’être rétabli par Napoléon Bonaparte en 1802 et aboli à nouveau en 1848.

Les origines 🌘

Tu ne seras pas surpris si on te dit que les colons qui tirent profit de la Traite Atlantique au XVIIIe siècle obtiennent la fin de l’application de l’édit de 1315. Et bien entendu, ces lobbys sont de plus en plus puissants au fur et à mesure qu’ils s’enrichissent… 👇

En août 1789, ils sont déjà bien remontés par l’abolition des privilèges. Lorsque le 28 mars 1790 l’Assemblée nationale accordent le droit de vote à tous les hommes libres de 25 ans, ils font tout pour retirer ce droit aux “mulâtres” (les enfants nés le plus souvent d’un homme blanc et d’une femme noire esclave). En faisant ça, ils ne font rien moins que de bafouer la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen !

Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits

Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen

article 1

L’insurrection à Saint-Domingue 🌗

Saint-Domingue est une île qui appartient complètement à l’Empire colonial français depuis 1696. La France et l’Espagne se la disputent depuis cette date, où l’Espagne perd la partie de l’île nommée Hispaniola. 

Avec le jeu des alliances, les insurrections qui ont lieu pour l’application du décret de mars 1790 se superposent à une vraie guerre coloniale ! Rien ne dit que, sans le risque que l’île redevienne espagnole, le combat aurait eu un écho à Paris.

Vincent Ogé avec le drapeau de la liberté

Les étapes vers l’abolition de l’esclavage en France commencent à Saint-Domingue :

  • Le mulâtre Vincent Ogé et l’affranchi Jean-Baptiste Chavannes mènent une première insurrection à Saint-Domingue en octobre 1790. Ils sont arrêtés, torturés et exécutés.
  • Le 22 août 1791, 50 000 esclaves se soulèvent. L’esclave affranchi Toussaint Louverture dirige une “armée noire” soutenue par les Espagnols. En face, la France s’allie à l’Angleterre pour les combattre.
  • Le 4 avril 1792, une loi reconnaît l’égalité politique des mulâtres mais elle n’est pas appliquée par les colons.

La proclamation de la République le 21 septembre 1792 change la donne ! Trois commissaires de la République sont envoyés pour obliger les colons à appliquer la loi : ils prennent les armes avec les esclaves affranchis contre les colons et vont jusqu’à proclamer une première fois l’émancipation des esclaves de Saint-Domingue le 29 août 1793.

Le décret de 1794 à la Convention 🌔

💡 Le point def’ !

La première Constitution du 3 septembre 1791 instaure une monarchie constitutionnelle. La Convention nationale est le nom du régime provisoire qui, entre 1792 et 1795, a été chargé de mettre en place la Première République et de lui donner une Constitution. Elle prend la forme d’un parlement élu au suffrage universel masculin. Les débats qui y ont lieu déterminent donc les fondements républicains !

Reste à faire passer ce retournement de situation dans la prochaine Constitution. Le 3 février 1794, une délégation constituée d’un député blanc de Saint-Domingue, Louis-Pierre Dufay, d’un mulâtre libre et d’un esclave affranchi, débarquent à la Convention. 

👉 Dufay et Danton prononcent deux discours iconics qui mènent à la rédaction par Lacroix du premier décret d’abolition de l’esclavage en France, appelé “décret de Pluviôse”.

[…] Européens, Créoles, Africains, ne connaissent plus aujourd’hui d’autres couleurs, d’autre nom que ceux de Français.

Dufay

Discours du 4 février 1794

Jusqu’ici nous n’avons décrété la liberté qu’en égoïstes et pour nous seuls. Mais aujourd’hui […] nous proclamons la liberté universelle.

Danton

Discours du 4 février 1794

👉 Le décret du 4 février 1794 est rédigé dans la foulée.

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La révolution de 1848 et le deuxième décret

On y arrive enfin : la vraie date de l’abolition de l’esclavage en France, le 27 avril 1848, soit 54 ans après le premier décret. 🤔 On t’explique ce qui se trame à l’Assemblée pendant ce temps…

Le rétablissement de l’esclavage 😱

Après son coup d’État en 1799, Napoléon Bonaparte établit un Consulat. Avec ses délires mégalos de futur empereur, il voit d’un mauvais œil la fragilisation de la toute puissance de la France sur ses colonies. Il se sert de deux gros prétextes pour rétablir l’esclavage : 

#️⃣1 : On continue l’achat d’esclaves

Déjà, impossible d’appliquer le décret en Martinique, occupée par les Anglais. Pareil pour Saint-Domingue jusqu’à 1798, date à laquelle Toussaint Louverture vire les Anglais. Sur l’île de la Réunion et en Île de France (Maurice), c’est pire : les colons eux-mêmes s’y sont opposés. 

Autre obstacle de taille : la Traite Transatlantique continue dans le reste de l’Europe. Autant dire que les négriers français (chargés de transporter les esclaves de l’Afrique aux Amériques) ne comptent pas abandonner la moula de si tôt. Reste la Guadeloupe pour sauver la donne ! 🎉

#️⃣2 : Saint-Domingue lui file entre les doigts

On t’a dit que l’ancien affranchi Toussaint Louverture vire les Anglais en 1798 ? Oui. Eh bien à la suite de ça il est nommé général de Saint-Domingue, chasse les Espagnols et se proclame gouverneur en 1801. 

Napoléon y envoie ses troupes et rétablit la souveraineté sur Saint-Domingue en mai 1802. Le décret pour rétablir l’esclavage dans toutes les colonies françaises est signé le 20 mai 1802. 

De l’interdiction de la Traite…

💡 Vite : le contexte !

En 1815 à la fin des dernières guerres napoléoniennes a lieu le Congrès de Vienne. Il doit partager entre huit puissances les conquêtes de Bonaparte. Sur initiative de l’Angleterre, tous les pays signent une déclaration les obligeant à interdire la traite.

Le 15 février 1818, La Restauration vote la première loi d’abolition de la Traite négrière, sanctionnée par la confiscation du navire et l’interdiction d’exercer pour le capitaine. Mais les négriers parviennent encore à contourner la loi et la Traite illégale perdure ! 

Certains mecs s’indignent à la Chambre des députés, comme Benjamin Constant

La traite se fait : elle se fait impunément. On sait la date des départs, des achats, des arrivées. […] On déguise l’achat des esclaves en supposant l’achat des mulets sur la côte d’Afrique où jamais on n’acheta de mulets.

Benjamin Constant

Le 27 juin 1821

👉 Entre 1827 et 1832, une série de lois mènent à l’extinction de la Traite négrière. Autant te dire que ça donne des sueurs froides aux Compagnies de commerce qui entament en Algérie une nouvelle période de colonisation !

À lire aussi

✅ Une fiche de révision sur l’empire colonial français (1830-1962)

… à l’abolition définitive de l’esclavage

On progresse un peu plus sous la Monarchie de Juillet. La charte coloniale le 24 avril 1833 élargit tous les droits politiques aux “libres de couleur”. 

Mais ce qui bloque les négos’ sur l’abolition de l’esclavage en France, c’est bien sûr les questions d’argent ! Le 28 juillet 1838, le député Alexis de Tocqueville propose devant l’Assemblée le rachat des esclaves par l’État et l’indemnisation des planteurs.

La Société française pour l’abolition de l’esclavage, présidée par le président du Conseil en personne, le duc de Broglie, rend plusieurs rapports sur la question. C’est un vrai lobby qui a même son propre titre de presse : L’Abolitionniste français. Et qui écrit des articles dedans à ton avis ? 👇

Le journaliste abolitionniste Victor Schoelcher bien sûr ! Après la révolution de février 1848, il est nommé sous-secrétaire d’État au sein du ministère de la Marine. Il publie le décret d’abolition de l’esclavage le 27 avril 1848

💡 Le savais-tu ?

Tu te demandes quel est le rapport entre le ministère de la Marine et les colonies ? Figure-toi que jusqu’à la Troisième République, c’est lui qui gère le “bureau des colonies” ! Schoelcher est alors sous-secrétaire d’Etat “chargé spécialement des colonies et des mesures relatives à l’abolition de l’esclavage”.

Un combat international 🌏

Tu ne trouves pas bizarre que l’abolition de l’esclavage en France ait été portée par les plus grandes têtes de la monarchie de Juillet comme le duc de Broglie ? Pour comprendre pourquoi ça passe mieux au XIXe siècle qu’au XVIIIe, il faut se tourner du côté du contexte international. Les autres pays d’Europe ont un train d’avance sur la France pour ce qui est de l’interdiction de la Traite et de l’abolition de l’esclavage ! Un contexte porteur, ça aide 😉

L’Angleterre, un modèle ! 🏅

Non tu ne rêves pas, c’est bien la première fois que l’Angleterre cesse d’être l’ennemi juré de la France (on exagère à peine). À l’époque, la monarchie parlementaire anglaise, c’est même super fancy.

Les Anglais au XIXe

Sur la question de l’esclavage, elle pèse dans le game en représentant 40% de la traite négrière, majoritairement vers l’Amérique du Nord. Suivent le Portugal (30%) et la France loin derrière, avec ses 13%. 

Le mec-à-connaître-absolument, c’est William Wilberforce. Il est député à la Chambre des Communes et très proche du Premier Ministre William Pitt le jeune. Il obtient déjà l’abolition de la traite le 2 mars 1807, avant d’être suivi l’année suivante par les États-Unis. 

Il fonde l’Anti-slavery Society en 1823, qui inspire plus de 10 ans plus tard la Société française pour l’abolition de l’esclavage. Wilberforce fait voter l’Abolition-Act le 26 juillet 1833, qui prévoit de grosses indemnités contre les planteurs. Elle abolie l’esclavage dans l’intégralité des possessions britanniques (Guyane britannique, Ile Maurice, Inde).

Une initiative mutualisée 🤝

En 1839, l’Anti-slavery Society est remplacée par la Foreign and Anti-Slavery Society. Elle devient le véritable gendarme du monde pour la lutte contre la traite illégale et l’esclavage. 

  • Elle vérifie les conditions d’application des traités anti-esclavagistes dans le monde.
  • Finance les sociétés abolitionnistes comme la Société française pour l’abolition de l’esclavage.
  • Organise à Londres en 1840 et 1843, deux grandes conventions réunissant les sociétés abolitionnistes du monde entier pour œuvrer vers une fin commune. 

Dès 1823, ce sont les colonies espagnoles d’Amérique du Sud qui s’émancipent progressivement et mettent fin à l’esclavage, comme le Chili, le Costa Rica, ou encore le Honduras. La France est même devancée par la Tunisie et le Danemark (îles Vierges) en 1846. 

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Abolitionnisme français : les figures méconnues

L’abbé Grégoire

Prêtre catholique, révolutionnaire, abolitionniste… le mec sait tout faire ! Après la Révolution française, l’Abbé Grégoire est député du Tiers-Etat au sein de l’Assemblée nationale constituante et s’engage à ce moment dans la Société des Amis des Noirs, pour appuyer son combat anti-révolutionnaire. 

💡 Le point def’ !

La Société des Amis des Noirs est créée en 1788 par le chef de file des Girondins à l’Assemblée, Brissot de Warville. Elle milite pour l’égalité des droits entre blancs et “libres de couleur” dans les colonies et l’interdiction progressive de l’esclavage, dans un souci de préservation de l’économie.

Aux côtés du métis Julien Raymond (originaire de Saint-Domingue), il obtient dès 1793 l’entrée à la Convention une délégation de la “Société des gens de couleur”. Dans le groupe, retiens aussi Jeanne Odo, une ancienne esclave alors centenaire.

Après le rétablissement de l’esclavage par Napoléon Bonaparte, il rédige un ouvrage fondateur, De la littérature des nègres (1808).

Cyrille Bissette

Né “libre de couleur” en Martinique en 1795, il est d’abord investi dans le système esclavagiste. Alors comment se retrouve-t-il à Paris en 1834 à fonder une société anti-esclavagiste ?

 En 1823, il est accusé d’anti-esclavagisme après la découverte chez lui d’ouvrages défendant l’égalité entre blancs et “libres de couleur”. Il est alors marqué au fer rouge et exilé à Paris ! 

Manque de bol pour les lobbys des planteurs, il s’engage immédiatement dans la lutte contre l’esclavage. Il fonde la Société des gens de couleur et demande en 1835 l’abolition totale et immédiate de l’esclavage.

Cyrille Bissette a même l’audace de rivaliser avec le boss dans le milieu, Victor Schoelcher, qu’il trouve méprisant. Il réfléchit à un plan de réorganisation de la société après l’abolition de l’esclavage et va jusqu’à revendiquer un décret pour l’instruction gratuite et obligatoire

👉 En août 1846, il envoie une pétition au Parlement et aux Conseils généraux, qui sera relayée l’année suivante dans le réquisitoire de Schoelcher contre les planteurs de Martinique et de Guadeloupe, Histoire de l’esclavage pendant ces deux dernières années

Louisy Matthieu

On te présente rien de moins que le premier esclave affranchi à siéger à l’Assemblée Nationale constituante. Badass, non ? 

C’est l’exemple même de l’esclave émancipé ! D’abord esclave dans les plantations de Guadeloupe, Louisy Matthieu est affranchi en 1848 et travaille dans une imprimerie à Pointe-à-Pitre. Là, il devient populaire et est présenté sur la liste électorale des députés de l’Assemblée Constituante, avec à sa tête Victor Schoelcher. 

Ce dernier préfère quitter son poste pour devenir député de la Guadeloupe en 1849 et choisit Louisy Matthieu pour le remplacer ! 

Abolir l’esclavage : et après ?

Une mise en œuvre vitesse chrono…. ⏳

Comme ils ne font pas les choses à moitié, les députés du gouvernement provisoire ont prévu l’émancipation de 250 000 esclaves métis en deux mois ! 

Mais tu te doutes que tout ne se passe pas comme prévu. En Martinique et en Guadeloupe, les esclaves ne veulent pas de cette sortie progressive. Ils ne perdent pas de temps pour attendre et font éclater une insurrection le 22 mai. Les gouverneurs sont obligés de plier et de proclamer l’abolition de l’esclavage en France les 23 et 27 mai 1848.

… mais une sortie approximative ⌛

On est désolés de te décevoir, mais le décret d’abolition de l’esclavage de 1848 ne raye pas pour autant l’esclavage de la carte de l’empire colonial français. 

Aux Antilles, les planteurs font venir des “travailleurs sous contrat” de Chine et d’Inde pour maintenir une forme d’exploitation. 

Comble de la mauvaise foi, le travail forcé est carrément institutionnalisé dans le code de l’indigénat, institué spécifiquement en 1881 en Algérie française pour définir le statut juridique de ses habitants natifs. 

Il a la même fonction que l’ancien code noir relatif aux esclaves : faire reconnaître un système de domination devant la justice. Bien entendu, il est très vite élargi aux autres colonies françaises ! 

Les puissances coloniales rivales ne perdent pas de temps non plus pour adopter un système similaire. Le travail forcé devient même une pratique incontournable après la conférence de Berlin de 1884, quand tous se mettent à exploiter au max les ressources de l’Afrique en construisant des chemins de fer.

À lire aussi

💥 Pour tout savoir sur la Guerre d’Algérie, et la fin de l’unique colonie de peuplement.

Voilà, t’es maintenant calé sur les étapes de l’abolition de l’esclavage en France, les grandes figures et ses limites. Une histoire pleine de rebondissements, non ? 😰

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Solène Clausse
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