Tu te trouves actuellement devant le poĂšme de “L’albatros” de Baudelaire, car ton prof tâa demandĂ© de faire une analyse linĂ©aire pour la fin de la semaine ? Seulement voilĂ , tu ne sais pas trop quelle forme doit prendre ton devoir et en attendant tu patauges dans la semouleâŠ
Pour aujourd’hui, on va rĂ©aliser ensemble une analyse linĂ©aire du poĂšme “LâAlbatros” de Charles Baudelaire issu de son recueil les Fleurs du Mal publiĂ© en 1857.
L’Albatros Baudelaire analyse Ă la lumiĂšre des Fleurs du mal đ·
Qui est Baudelaire ?
Notre trĂšs cher Charles a vĂ©cu au cours du 19e siĂšcle. Il sâinscrit dans le mouvement du symbolisme au lendemain du romantisme dont Victor Hugo est lâemblĂšme (si tu es un peu perdu dans les courants littĂ©raires, file vite faire une remise Ă niveau !). Il incarne aussi la modernitĂ© poĂ©tique avec son recueil le Spleen de Paris, petits poĂšmes en prose.
Ă lire aussi
Et tu savais que tu pouvais vaincre la procrastination avec Victor Hugo ?
Le Spleen, kesako ? đĄ
Le spleen baudelairien est une notion inventĂ©e par Baudelaire lui-mĂȘme pour dĂ©crire une forme de mĂ©lancolie dĂ©clenchĂ©e par une forme de âmal de vivreâ.
đ Petit point de traduction, le spleen est un mot anglais pour dĂ©signer la rate. Selon la thĂ©orie des humeurs dâHippocrate, elle dĂ©livre la bille noire qui, produite en trop grande quantitĂ©, dĂ©clenche mĂ©lancolie et dĂ©pression.
Les Fleurs du Mal et la structure de l’oeuvre
Le poĂšme “LâAlbatros” trouve sa place au sein de son recueil Les Fleurs du Mal, qui fera scandale en 1857 Ă sa publication.
Le titre âFleurs du Malâ doit tâinterpeller avant mĂȘme dâouvrir le recueil. Tu reconnaĂźtras au premier coup dâĆil un oxymore – soit lâalliance de deux termes contraires – comme dans l’expression “soleil noir”.
đ Ce titre est Ă interprĂ©ter, puisque tu peux tout de suite repĂ©rer une des thĂ©matiques prĂ©dominante dans lâĆuvre de Baudelaire : le contraste entre Spleen et IdĂ©al.
LâĆuvre des Fleurs du Mal est divisĂ©e en six parties :
- Spleen et Idéal
- Tableaux parisiens
- Le vin
- Fleurs du Mal
- Révolte
- La Mort
Le poĂšme de LâAlbatros fait partie de la premiĂšre section. DĂšs lors, les thĂšmes de la dualitĂ© et du contraste prennent sens (You will see ! đ).
Les thĂšmes đš
Avant de commencer lâanalyse linĂ©aire, voici un petit pense-bĂȘte avec les thĂšmes Ă avoir Ă lâesprit pendant lâĂ©tude de ce poĂšme.
- La marginalité du poÚte
- La figure du poĂšte maudit
- La trivialité de la condition humaine
- Le rapport entre spleen et idéal
- Le monde des idées
đ Les thĂšmes citĂ©s sont transversaux dans les Ćuvres de Baudelaire. Ils sont donc rĂ©currents.
LâAlbatros Baudelaire analyse de la structure du poĂšme đ
Lâanalyse linĂ©aire se diffĂ©rencie du commentaire de texte car elle suit la chronologie du texte et identifie des mouvements.
Le poĂšme “L’albatros” de Baudelaire
Souvent, pour sâamuser, les hommes dâĂ©quipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.
A peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de lâazur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traĂźner Ă cĂŽtĂ© dâeux.
Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
Lui, naguĂšre si beau, quâil est comique et laid !
Lâun agace son bec avec un brĂ»le-gueule,
Lâautre mime, en boitant, lâinfirme qui volait !
Le PoÚte est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempĂȘte et se rit de lâarcher ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de gĂ©ant lâempĂȘchent de marcher.
L’Albatros Baudelaire analyse : la structure et les spĂ©cificitĂ© du poĂšme
- Les vers : alexandrins (12 pieds = 12 syllabes)
- Les strophes : quatrains (4 vers par strophe)
- Les enjambements fréquents : le contenu sémantique déborde sur le vers suivant
đ Ă la lecture du poĂšme, on peut se demander de quelle maniĂšre la figure de lâAlbatros intervient comme le double du poĂšte au sein de la sociĂ©tĂ© ?Â
LâAlbatros Baudelaire analyse strophe par strophe
Mouvement 1 : de lâIdĂ©al au Spleen, la chute de la figure du poĂšte
Le cadre initial du poĂšme est une scĂšne en pleine mer qui progressivement se focalise sur les planches du bateau montrant la confrontation entre lâalbatros et les marins.
Analyse linéaire de la premiÚre strophe
đ Souvent, pour sâamuser, les hommes dâĂ©quipage
- âLes hommes dâĂ©quipageâ est la seule occurrence des marins dans le poĂšme et renvoie de maniĂšre plus globale Ă la sociĂ©tĂ©, Ă une communautĂ©. Il ne sâagit pas dâindividus, mais dâune masse qui forme un tout : les Hommes.
- Le terme souvent marque lâhabitude des marins Ă entreprendre lâaction.
đ Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
- âVastes oiseaux des mersâ : on repĂšre ici l’importance des pĂ©riphrases pour dĂ©signer lâalbatros dans le poĂšme. Ces pĂ©riphrases montrent Ă quel point l’albatros occupe une place majeure en termes de symbole dans le poĂšme. Au dĂ©but de celui-ci, les pĂ©riphrases sont Ă©logieuses.
- Lâenjambement âles hommes dâĂ©quipage / prennent des albatrosâ intensifie lâaction et donne Ă voir une forme de brutalitĂ© qui subsiste dĂšs lors dans la suite du poĂšme
đĄ Enjambement
C’est le contenu sĂ©mantique d’un vers qui dĂ©borde sur celui d’aprĂšs.
đ Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
- Encore une fois, une pĂ©riphrase qui, par la longueur, souligne l’envergure de l’albatros.
đ Le navire glissant sur les gouffres amers.
- “Les gouffres amers” souligne lâimmensitĂ© du lieu et de lâenvironnement dans lequel se trouve lâĂ©quipage. De ce fait, lâalbatros domine largement cet espace.
- LâallitĂ©ration en [S], rĂ©pĂ©tition dâun son consonne, donne Ă percevoir la bruit des vagues. Cette allitĂ©ration parcourt tout le poĂšme avec une coupure strophe 3, en lien avec le contenu sĂ©mantique : la condition misĂ©reuse de lâalbatros emprisonnĂ© dans un monde prosaĂŻque que lâon verra plus tard.
đ La premiĂšre strophe pose le cadre du poĂšme, mettant en avant lâenvergure de lâoiseau qui surplombe le navire et lâĂ©quipage. Les marins reprĂ©sentent la sociĂ©tĂ©. On relĂšve dĂšs le dĂ©but du poĂšme le thĂšme du poĂšte marginal et gĂ©nie maudit.
Analyse linéaire de la deuxiÚme strophe
đ Ă peine les ont-ils dĂ©posĂ©s sur les planches,
- On observe un changement brutal dâespace et de condition soulignĂ© par âĂ peineâ.
- “Les planches”, cette fois, caractĂ©risent lâĂ©quipage, il sâagit dâune mĂ©tonymie.
đĄ MĂ©tonymie
Figure de style oĂč lâon dĂ©signe le tout par la partie.
- Le terme “Les planches” constitue la derniĂšre occurrence renvoyant aux marins et Ă la notion de communautĂ©. Les planches caractĂ©risent dâune certaine maniĂšre le monde du rĂ©el.
- Le monde des idĂ©es peut ĂȘtre dĂ©signĂ© par lâoiseau qui surplombe le navire, la terre et la condition humaine. Il sâagit ici de deux figures en contraste.
đ Que ces rois de lâazur, maladroits et honteux,
- On repĂšre un contraste dans la caractĂ©risation de lâalbatros : ârois de lâazurâ / âmaladroit et honteuxâ. Le changement dâespace implique une condition nouvelle qui rĂ©duit les capacitĂ©s et la majestuositĂ© de lâalbatros.
- Personnification de lâoiseau : participe Ă la crĂ©ation de la figure du poĂšte Ă travers lâalbatros.
đĄ Personification
Figure de style qui consiste Ă lâattribution de caractĂ©ristiques ou dâactions humaines Ă un objet ou un animal.
đ Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
- “Piteusement” : caractĂ©rise la chute de lâalbatros dans le monde des humains.
- Le monde des humains est décrit comme brutal et miséreux
đ Comme des avirons traĂźner Ă cĂŽtĂ© dâeux.
- On retrouve ici un second enjambement (“leurs grandes ailes blanches / comme des avirons trainer Ă cĂŽtĂ© deux”) ainsi qu’une figure dâanalogie qui dĂ©mystifie lâoiseau.
đ La figure dâanalogie que lâon repĂšre ici est la comparaison, quâil est facile dâidentifier par lâutilisation de lâoutil âcommeâ.
Mouvement 2 : la figure du poÚte au sein de la société, expression de la marginalité
Analyse linéaire de la troisiÚme strophe
đ Ce voyageur ailĂ©, comme il est gauche et veule !
- La pĂ©riphrase âce voyageur ailĂ©â renvoie encore une fois Ă l’oiseau, qui vient de perdre son statut de roi de lâazur.
- Cette troisiĂšme strophe marque la chute de la figure de lâalbatros, et symboliquement celle du poĂšte, qui devient âgauche et veuleâ une fois au sol.
đ Lui, naguĂšre si beau, quâil est comique et laid !
- Le contraste des termes âbeau/ laidâ nous laisse entrevoir la condition tragique du poĂšte/oiseau dĂ©chu de sa puissance une fois posĂ© sur le sol (le monde prosaĂŻque et misĂ©reux).
- On perçoit ici le thÚme de la trivialité de la condition humaine qui se poursuit durant tout le second mouvement.
đĄ TrivialitĂ©
Expression dâune pensĂ©e grossiĂšre, contraire au monde des idĂ©es.
đ Lâun agace son bec avec un brĂ»le-gueule,
- Le brule gueule est une pipe, qui dessine lâaspect trivial du monde des humains. Le poĂšte dĂ©peint un portrait misĂ©reux et dĂ©nuĂ© dâĂ©lĂ©gance de la condition humaine.
đ Lâautre mime, en boitant, lâinfirme qui volait !
- Lâoiseau des mers est rĂ©duit Ă la trivialitĂ© du monde humain, incompris ; l’Ă©quipage le malmĂšne.
- La pĂ©riphrase âvastes oiseaux des mersâ sâest transformĂ© en âinfirme qui volaitâ. L’oiseau devient misĂ©reux au contact de la foule qui le brutalise et qui ne le comprend pas. Le poĂšte apparait comme marginal.
Analyse linéaire de la quatriÚme strophe
đ Le PoĂšte est semblable au prince des nuĂ©es
- Lâanalogie qui parcourt le poĂšme est explicitĂ©. La figure de lâalbatros nâest autre que semblable Ă celle du PoĂšte.
- On souligne la majuscule Ă âPoĂšteâ qui dĂ©signe, non pas Baudelaire personnellement, mais qui induit une profonde rĂ©flexion sur la condition du PoĂšte au sein de la sociĂ©tĂ©.
- ThĂ©matique rĂ©currente modĂ©lisĂ© dans ce vers : le poĂšte maudit, marginal, gĂ©nie incompris au sein dâune sociĂ©tĂ©. Le poĂšte est seul au milieu de la foule.
đ Qui hante la tempĂȘte et se rit de lâarcher ; ExilĂ© sur le sol au milieu des huĂ©es,
- Le terme âexilĂ© sur le solâ tĂ©moigne dâune action non consentie, dâune obligation, dâune contrainte pour lâoiseau et de surcroit pour le PoĂšte.
- Cet exil a lieu sur la terre ferme et donc au sein du monde réel aprÚs avoir navigué dans le monde des idées qui, lui, représente le génie du PoÚte.
- ThĂ©matique du contraste entre Spleen (le monde rĂ©el) et lâIdĂ©al.
đ Ses ailes de gĂ©ant lâempĂȘchent de marcher.
On peut envisager âses ailes de gĂ©antâ comparable au gĂ©nie du PoĂšte, qui se trouve emprisonnĂ© par ses idĂ©es : le gĂ©nie induit un Ă©loignement avec les individus de la sociĂ©tĂ©.
Ă lire aussi
â Si tu souhaites dĂ©couvrir un nouveau poĂšme, on tâinvite Ă lire Une charogne de Charles Baudelaire.
L’Albatros Baudelaire analyse : we’re done !
En quelques mots, les symboles forts du poĂšme :
- Le ciel/l’oiseau : le monde des idĂ©es, le gĂ©nie
- Les planches, le sol : le monde réel, celui de la trivialité et de la misÚre
- L’Albatros : le PoĂšte
đ C’est Ă©videmment en identifiant et en interprĂ©tant les symboles forts des poĂšmes de Charles Baudelaire que l’on comprend les thĂ©matiques et la rĂ©flexion du poĂšte sur le monde.
Tu l’auras compris, la figure de l’Albatros dans le poĂšme des Fleurs du Mal apparait comme le miroir du poĂšte. On assiste Ă un poĂšme rempli de sens cachĂ©s et dĂŽtĂ© d’une force symbolique sans pareil en lien avec les thĂ©matiques phare de l’auteur.
Bref, de quoi se creuser les mĂ©ninges pour trouver encore plus d’images… mĂȘme si elles peuvent paraĂźtre tirĂ©es par les cheveux ! đ
Excellent commentaire linéaire,clair,précis. Je partage avec
avec ma petite fille qui prépare son bac de français.
Merci.
Merci beaucoup Marie Claude pour ce commentaire. đâ
Bon courage Ă votre petite fille pour la prĂ©paration de son bac de français, et nous sommes Ă l’Ă©coute si besoin
L’Ăquipe Sherpas