La Hongrie est (une nouvelle fois) au cœur de l’actualité européenne, depuis que son Parlement, dominé par le Fidesz, le parti conservateur et populiste de Viktor Orban, ait adopté une loi portant atteinte aux droits des hongrois membres de la communauté LGBT+. 👎
Le texte, qui interdit toute “représentation” de l’homosexualité et de la transsexualité en public, et semble assimiler homosexualité et pédophilie, a ainsi été vivement critiqué par de nombreuses personnalités politiques en Europe.
Au-delà de cette mesure, le nationalisme et l’illibéralisme d’Orban, premier ministre hongrois depuis 2010, dérangent et inquiètent.
Alors, les droits de l’homme sont-ils menacés en Hongrie, démocratie depuis la fin de la Guerre froide ? La démocratie et les principes libéraux propres à l’Union européenne sont-ils en danger dans l’un de ses pays membres ? 🤔
Retour sur l’histoire contemporaine de la politique Hongrie
Pour comprendre la situation politique actuelle en Hongrie, il convient d’abord de s’appuyer sur l’histoire contemporaine du pays : celle d’un XXe siècle marqué par l’autoritarisme en Hongrie. 👊
L’entre-deux-guerres : le nationalisme irrédentiste du régent Horthy 💪
Cet autoritarisme, c’est d’abord celui de l’entre-deux-guerres, avec notamment la figure du régent Horthy, à la tête du pays de 1920 à 1944. La Hongrie n’échappe alors pas à la montée des nationalismes en Europe, voire des mouvements fascistes. Le parti des Croix Fléchés fondé en 1935 en était un et, bien qu’Horthy ne soit pas un fasciste, il est tout de même l’allié de l’Allemagne Nazie à la fin des années 30 et jusqu’au début des années 40.
Son régime était également caractérisé par le rejet des minorités, et en particulier des juifs. La loi antisémite de 1920 interdisant aux juifs l’accès aux universités et à la fonction publique peut en témoigner.
👉 Le nationalisme hongrois de cette période est, comme pour l’Allemagne nazie, celui d’un repli identitaire consécutif à la défaite lors de la Première guerre mondiale. Le traité de Trianon de 1920 est à l’origine d’une profonde mutilation du territoire hongrois : celui-ci est réduit des deux tiers ! ✂
On a donc affaire à un sentiment de frustration nationale, et à un irrédentisme hongrois, la volonté de reconquérir l’ensemble de ces territoires. Nous verrons plus loin qu’un tel irrédentisme né du traité de Trianon se retrouve dans la Hongrie actuelle, celle de Viktor Orban.
Une démocratie populaire bien autoritaire
Si le régime d’Horthy prend fin dans les années 1940, l’autoritarisme, lui, demeure. La Hongrie est, dès 1949, l’une de ces fameuses “démocraties populaires” d’Europe Centrale et Orientale, qui n’ont de démocratique que le nom.
La répression sanglante des émeutes de 1956 confirme, malgré l’aspiration populaire au multipartisme et à plus de libertés, que le libéralisme politique n’est pas à l’ordre du jour.
De fait, la victoire du mouvement populaire est éphémère, et l’Armée Rouge du grand frère soviétique intervient avec violence, faisant près de 20000 morts, et rétablissant l’autorité du parti communiste.
Une transition libérale réussie : une démocratie européiste et atlantiste à la fin du XXe siècle 🇪🇺
Le coup de force de l’armée soviétique en 1956 ne suffit pas à éteindre tout espoir de libéralisation en Hongrie. Une telle libéralisation, tant politique qu’économique, finit par s’opérer à partir de 1968. Le “nouveau mécanisme économique”, surnommé “socialisme du goulach”, est un socialisme plus modéré, laissant plus de place aux libertés individuelles ainsi qu’à l’initiative privée.
👉 Après avoir joué un rôle central dans le rapprochement Est-Ouest dans l’Europe de la fin de la Guerre froide, la Hongrie bénéficiera surtout d’une transition démocratique réussie après 1990. 👌
Le pays fait alors figure de précurseur au sein des PECO (Pays d’Europe Centrale et Orientale), alors que cette transition est beaucoup plus difficile et brutale dans d’autres pays, comme en Roumanie.
Elle est, avec la Pologne, la République Tchèque et la Slovaquie, l’un des membres du groupe de Visegrad, initialement créé pour favoriser l’intégration dans l’OTAN ainsi que dans l’UE, qu’elle intègre finalement en 2004.
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L’ascension du Fidesz de Viktor Orban en Hongrie 📈
Alors, comment expliquer la situation actuelle de la politique Hongrie ? Comment la Hongrie, démocratie d’apparence européiste dans les années 1990 et au début des années 2000, est-elle passée entre les mains d’un leader nationaliste et peu enclin au libéralisme politique ?
C’est de la crise, quelle qu’elle soit, que se nourrit le populisme. Le populisme de Viktor Orban n’échappe pas à cette règle : son succès s’inscrit dans un contexte de crise économique et politique. 📉
Le contexte économique
Car si la transition libérale a été une réussite sur le plan politique, elle s’est aussi accompagnée de difficultés économiques considérables. Le pays connaît une lourde récession de 1990 à 1993, et ne parvient pas à combler son retard par la suite : le niveau de vie de la population a baissé depuis 1990.
Les années 1990 et 2000 sont surtout marquées par des difficultés budgétaires, et donc par des politiques de rigueur. Mais les politiques de gel des dépenses publiques ne permettent pas de réduire durablement la dette de l’État : après un prêt du FMI, de la Banque mondiale et de l’Union Européenne, sa dette est encore de 80% du PIB en 2009.
A ces difficultés structurelles s’ajoutent des problèmes conjoncturels liés à la récession mondiale de 2008-2009. Celle-ci ne fait que renforcer la crise économique et notamment le chômage, qui atteint les 11% en 2010, année des élections législatives victorieuses pour Viktor Orban et son parti.
Le contexte politique
En outre, le leader du Fidesz bénéficie à la fin des années 2000 d’un scandale politique qui discrédite son principal rival Ferenc Gyurcsány, premier ministre hongrois de 2002 à 2010. La lutte pour la transparence politique et contre la corruption et le népotisme constitue alors un argument électoral de poids en faveur du Fidesz, qui remporte donc haut la main les élections du Parlement en 2010.
La dérive illibérale du gouvernement nationaliste en Hongrie 😱
Mais en quoi l’arrivée (et le maintien) au pouvoir de Viktor Orban constituent-ils une crise démocratique ?
Un premier ministre ouvertement illibéral 💬
Alors que les principes fondateurs de l’UE sont des principes libéraux, Viktor Orban se présente comme un chantre de l’illibéralisme. Le chef du gouvernement hongrois a en effet émis à plusieurs reprises l’idée que la démocratie n’implique pas forcément le libéralisme politique. Il affirme notamment :
La démocratie libérale n’a pas été capable d’obliger les gouvernements à défendre prioritairement les intérêts nationaux, à protéger la richesse publique et le pays de l’endettement.
Viktor Orban
Premier ministre de Hongrie
Une “super majorité” à l’origine de mesures controversées 😮
Mais le premier ministre hongrois ne se contente pas de la théorie, et applique sa doctrine illibérale. L’obtention d’une “super majorité” avec deux tiers des sièges au Parlement à chacune des élections législatives depuis 2010 lui permet d’adopter des lois sans débat à l’Assemblée. Tout simplement.
📺 D’abord, une loi sur les médias incompatible avec la charte européenne des droits de l’homme suscite la controverse fin 2010. Vivement critiquée, ses éléments les plus controversés sont finalement amendés ou supprimés.
Mais sa version finale réduit tout de même fortement la liberté de la presse, puisqu’un Conseil de la presse contrôlé par le parti au pouvoir est chargé de l’encadrer.
👉 Ainsi, il n’existe désormais plus qu’une seule chaîne de télévision véritablement indépendante, RTL, et un seul quotidien indépendant, Népszava.
🇭🇺 La nouvelle Constitution adoptée en 2011 suscite également de nombreuses critiques dans toute l’Europe. Les Etats voisins s’inquiètent de l’attribution de la nationalité et du droit de vote à toute personne ayant des ancêtres hongrois. Une telle mesure favorise l’irrédentisme des minorités hongroises des pays limitrophes, notamment en Roumanie (1,5 millions de magyarophones) et de Slovaques (0,5 millions).
On constate ici l’héritage du traité de Trianon et de l’irrédentisme hongrois du temps du régent Horthy. Or la comparaison de l’actuel premier ministre avec un tel autocrate n’est pas très flatteuse pour la démocratie hongroise.
👫 Cette Constitution fait aussi référence aux racines chrétiennes de la Hongrie et définit surtout le mariage comme l’union d’un homme et d’une femme. Une première étape avant la très récente loi anti-LGBT.
👉 Une telle multiplication des mesures jugées illibérales ou discriminatoires est incompatible avec la démocratie libérale, et incompatible avec les valeurs de l’UE, à en croire l’article 2 du traité de Lisbonne : « L’union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, de l’état de droit, et du respect du pluralisme et de la non-discrimination.«
Un indice de démocratie en chute libre 📉
Le journal britannique The Economist publie chaque année un indice de démocratie, compris entre 0 et 10, et permettant d’évaluer la “qualité” des différents régimes politiques dans le monde.
Les pays se divisent entre les régimes autoritaires (indice entre 0 et 4), les régimes hybrides (entre 4 et 6), les démocraties imparfaites (entre 6 et 8) et les démocraties pleines (entre 8 et 10).
👉 Concernant la Hongrie, les mesures évoquées plus tôt se répercutent sur cet indice. La Hongrie se présente comme un régime démocratique imparfait, et de plus en plus imparfait depuis la fin des années 2000 : son indice a presque perdu 1 point depuis 2006 (6,56 aujourd’hui contre 7,53 en 2006).
Une dérive illibérale et autoritaire accrue par la crise sanitaire ? 😷
Par ailleurs, la crise du Covid-19 amorcée en 2020 n’a pas joué en faveur de la démocratie hongroise : elle a contribué à renforcer l’emprise de Viktor Orban et de son parti sur le pays. 👑
De fait, l’état d’urgence lié à la crise sanitaire, qui n’avait au départ aucune limite fixe de durée comme dans la plupart des Etats de l’UE, a donné temporairement des pouvoirs spéciaux à Viktor Orban en 2020.
L’opposition et des ONG de défense des droits dénoncent alors l’attribution de “pleins pouvoirs” au leader du Fidesz, autorisé à légiférer par décret sur de nombreux sujets.
Une autorité renforcée qui lui permet, entre avril et juin 2020, de prendre de nouvelles décisions contestables, et contestées. Son gouvernement a notamment éjecté de force des milliers de patients, parfois gravement malades, de leurs lits d’hôpital, et a de nouveau cherché à nuire à son opposition, officiellement au nom de la lutte contre le Covid.
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Un nationalisme capable de diviser et d’affaiblir l’UE ? 🇪🇺
La crise migratoire de 2015 ou la dérive du Groupe de Visegrad 🔁
Le populisme nationaliste d’Orban et du Fidesz était au coeur de la crise migratoire qui a affecté et divisé l’Union Européenne dès 2015. La journaliste et universitaire Françoise Pons parle de “l’angoisse de la disparition” en 2015 pour définir le repli identitaire de la Hongrie d’Orban.
❌ Une telle angoisse conduit le pays à refuser tout flux migratoire sur son sol, alors que les crises en Afrique du Nord et en Syrie sont à l’origine d’une explosion des flux de réfugiés vers l’Europe. Un mur de 175 km à la frontière serbe est achevé en 2015. La Hongrie lance ainsi un vaste mouvement de fermeture dans les Balkans, qui conduit à bloquer de nombreux migrants en Grèce.
❌ Surtout, la Hongrie et le Groupe de Visegrad, pourtant à l’origine fortement européiste, font figure de mauvais élèves de l’Union Européenne et refusent toute solidarité en termes d’accueil des réfugiés. En 2015, la Commission Européenne propose une répartition de 120 000 réfugiés entre les différents États de l’UE, mais ces pays s’y opposent.
👉 La Hongrie est ainsi l’un des principaux artisans d’une fracture Est-Ouest au sein de l’UE, sur la question migratoire.
2021 : nouvelles divisions (Est-Ouest) au sein de l’UE ⚡
Une telle fracture Est-Ouest réapparaît aujourd’hui sur la question de la discrimination de la communauté LGBT et du projet de loi visant à empêcher la “promotion” de l’homosexualité auprès des mineurs.
1️⃣ D’une part, 17 pays européens ont signé une déclaration dans laquelle ils expriment leur “profonde préoccupation” face à un texte qui porte atteinte à “l’inclusion, la dignité humaine et l’égalité, des valeurs fondamentales” de l’Europe et de l’UE. Ursula Von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, a critiqué de façon virulente le texte hongrois :
Ce projet de loi est une honte.
Ursula Von der Leyen
Présidente de la Commission européenne
Le premier ministre néerlandais Mark Rutte est même allé jusqu’à inviter la Hongrie à quitter l’UE, par l’intermédiaire de l’article 50 du Traité de Maastricht, puisqu’elle ne respecte pas les valeurs de l’Union.
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2️⃣ D’autre part, même si ce soutien est faible face à l’opposition farouche de la plupart des Etats membres, la Pologne (également aux mains d’un parti nationaliste ultraconservateur, le PIS, peu enclin au respect des droits des LGBT) et la Slovénie restent des alliés de la Hongrie au sein même de l’Union Européenne. Lors du Conseil européen du 24 juin, le chef du gouvernement slovène, Janez Jansa, a ainsi reproché aux autres dirigeants européens de “ne pas comprendre ce qui se passe chez [eux]”.
👉 Viktor Orban est parvenu, non seulement à raviver une division Est-Ouest au sein de l’UE, mais surtout à placer la Hongrie et la question des droits des LGBT au centre du débat entre les pays européens. L’UE avait pourtant d’autres sujets majeurs à traiter : entre autres, la question d’un dialogue européen avec la Russie de Poutine.
Conclusion sur la crise politique Hongrie 🌟
Oui, Orban a été élu à plusieurs reprises de façon démocratique. Oui, la Hongrie demeure une démocratie. Mais il s’agit d’une démocratie de plus en plus imparfaite, et de moins en moins libérale.
La “super majorité” du Fidesz au Parlement, certes obtenue démocratiquement, lui permet de prendre des mesures mettant l’Etat de droit en péril, portant atteinte aux droits de l’homme et aux libertés d’opinion et d’expression. 💥
La Hongrie parvient même, à l’instar de son parrain russe, à déstabiliser l’Union européenne, en renforçant les divisions entre l’Est et l’Ouest de la communauté. ➗
La Hongrie européiste et atlantiste du début des années 1990 n’est plus. Le repli identitaire propre à la Hongrie nationaliste et irrédentiste du régent Horthy, lui, est plus que jamais de retour. 🔙
A bientôt pour un prochain article ! 👋