Depuis plusieurs semaines, les paysans indiens manifestent violemment dans les rues de New Delhi ou marchent vers la capitale contre les récentes politiques du gouvernement. Cela fait suite au vote de trois lois majeures concernant l’entièreté du secteur agricole en Inde. Ces lois connaissent une forte opposition, les manifestations ont donc éclaté à la suite de leur acceptation par le pouvoir législatif. Nous te proposons ici de voir ce récent incident et de te donner les clés pour tout comprendre.
💡 L’Inde est un pays où l’agriculture possède une véritable importance et est au cœur de la vie de centaines de millions d’individus. Il sera intéressant alors d’observer pourquoi les dernières réformes ont poussé le peuple à se regrouper dans la rue et comment la situation a légèrement dégénéré.
Petit point sur le développement de l’Inde au XXe siècle 💪
L’Inde est officiellement indépendante en 1947. Son premier président est Jawaharlal Nehru qui fondera la doctrine appelé « Nehruisme ».
Qu’est-ce que le Nehruisme ? Il s’agit d’un développement autocentré (c’est-à-dire qui se concentre sur le développement du pays avec une économie protectionniste et un Etat qui pilote les différents leviers de développement), socialisant et destiné à affirmer l’indépendance et la puissance indienne.
🌡️ L’Inde était un pays pauvre, faisant partie du Tiers-Monde. L’espérance de vie était de 32 ans et 90% de la population vivait en campagne. Nehru va s’inspirer du développement soviétique et va axer sa politique sur la présence d’un État fort jouant un grand rôle et un protectionnisme essentiel.
L’agriculture ne sera pas sacrifiée. Au contraire, elle devient dès 1947 une priorité pour le gouvernement. Les premières réformes seront cependant des échecs et provoqueront la famine des années 60.
A partir de 1964, c’est la Révolution Verte : l’Inde connaît une mutation agronomique (changement des variétés utilisés, haut rendement de blé, intrants énormes…) et une mutation économique 💰 (l’Etat va acheter et revendre à prix réduit via la Food Coorporation of India pour impulser l’économie).
Cette Révolution Verte est à la fois une réussite et un échec.
👉🏻 C’est une réussite car :
- L’autosuffisance (la capacité pour un pays à subvenir à ses propres besoin par lui-même) est atteinte en 1975
- Réussite du défi démographique (la population double entre 1960 et 2000)
👉🏻 C’est cependant un échec sur plusieurs aspects :
- Un échec social tout d’abord, avec une hausse des inégalités et une exclusion des non-propriétaires sur les terres indiennes (ce qui correspond à 60 millions d’individus !)
- Un échec environnemental ensuite puisqu’on dénote une forte hausse de la pollution des sols et des eaux, qui devient un véritable problème dans certains États du Nord.
Depuis, il y a eu une libéralisation de certains domaines dans les années 90. L’agriculture aura cependant gardé un intérêt extrêmement important pour le gouvernement et dans le fonctionnement de la société indienne. L’agriculture concerne plusieurs centaines de millions d’indien, mais reste un secteur qui est faiblement investi dans l’économie (il ne représente que 14% du PIB !)
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Quelles sont les réformes qui sont remises en cause par le peuple indien ? 🤔
La réforme a été votée le 20 septembre 2020, et est composée de 3 lois principales visant à libéraliser le système agricole indien 💰. Les lois concernent le commerce, les prix, les services agricoles et les limites des stock de premières nécessités.
👉🏻 Quel est le but de la réforme ?
Les agriculteurs peuvent désormais vendre leur produit à n’importe quel acheteur potentiel et au prix qu’ils désirent. L’Inde signe ici la fin des intermédiaires et la déconstruction des marchés régulés par l’Etat.
💡 En Inde, les paysans ne peuvent pas vendre leurs produits n’importe comment. Ils sont obligés de les vendre soit sur des marchés où les prix sont fixés par les différents États, soit directement à des intermédiaires qui possèdent une licence pour les acheter. Cette réforme permettra aux paysans de vendre leurs produits à qui ils souhaitent, et à n’importe quel prix. ça semble être une bonne idée, puisque les paysans sont plus libres de faire ce qu’ils veulent ! En réalité, cela amène de nombreux mécanismes pervers que nous verrons un peu plus loin.
Initialement, l’agriculture est contrôlée par l’APMC, le Comité du Marché des produits Agricoles gérés par les gouvernements locaux. Ce n’est donc pas du ressort du gouvernement central, et c’est cela qui va poser problème. Rappelons que l’Inde est un pays fédéral, donc que les différents pouvoirs sont possédés à diverses échelles, un peu comme aux Etats-Unis ou encore en Suisse avec le système des cantons. Outrepasser certains pouvoirs est illégal, et ceci va être une des raisons des manifestations actuelles.
L’objectif de Narendra Modi, premier ministre indien, est de créer un marché unique de l’agriculture. Avec cette réforme, il entend bien permettre l’arrivée de capitaux privés 💰 afin de protéger le système économique basé sur l’agriculture indienne. Rappelons que l’agriculture en Inde est très protégée, puisque 2/3 des indiens vivent en zone rurale, que 47% des actifs en Inde travaillent dans le secteur agricole et que 82% d’entre eux possèdent de petites exploitations. Les agriculteurs en Inde possèdent donc un poids énorme dans les urnes.
Ce pouvoir de décision doit être appréhendé par le gouvernement s’il souhaite pérenniser son mandat. C’est pourquoi cette manifestation est très importante à connaître et à comprendre puisqu’elle affecte aussi le champ politique indien.
Cette agriculture est effectivement très protégée, mais aussi très coûteuse pour le gouvernement central. Les paysans du Nord sont fortement subventionnés et l’endettement de l’agriculture en Inde est chaque année plus problématique. Avec cette réforme libérale, Modi souhaite réduire cet endettement, l’un des problèmes majeurs de son pays aujourd’hui.
Pourquoi ces réformes posent problèmes ?💥
💡 Tout d’abord, l’opposition pointe du doigt la non-légitimité du gouvernement central dans cette affaire, car la politique agricole est un choix des différents États de l’Inde. Certains considèrent que le gouvernement Modi a outrepassé ses droits. C’est d’ailleurs pour cette raison que Harsimrat Kaur Badal, la ministre indienne des industries de transformations alimentaires, a démissionné suite à cette annonce.
💡 Les opposants sont effrayés par cette réforme, et cela pour plusieurs raisons :
- Ils ont tout d’abord peur de la disparition du « Minimum Support Price » (le prix minimum garanti). Si ce prix disparaît, il est tout à fait possible que la concurrence pousse à la baisse les prix pour éliminer les petits paysans de l’équation. Ceci est totalement faisable par les grandes entreprises, et pousserait une grande partie des agriculteurs indiens dans la misère.
- L’amendement de la loi sur les produits de première nécessité a supprimé la pomme de terre, les céréales, les légumineuses, les huiles et les oignons. Cela est bien entendu un problème pour l’agriculture vivrière et pour le maintien de la sécurité alimentaire en Inde. Rappelons que les produits de première nécessité en Inde jouissent de subventions permettant à des dizaines de milliers d’agriculteurs de rentrer dans leurs frais. Le risque est encore une fois la pauvreté.
- Les opposants questionnent aussi la confiance possible qu’un agriculteur peut avoir dans un acheteur qui n’est pas lié à un intermédiaire ou à l’APMC. Le risque d’escroquerie ou d’abus augmentera selon eux et atteindra un stade insupportable pour beaucoup de paysans, en plus de fragiliser le lien social.
Une réforme remise en cause par la manifestation en Inde 😤
🌡️ C’est donc à cause de tout cela que les cultivateurs du Nord de l’Inde (surtout ceux du Pendjab et du Bengale-Occidental) sont entrés dans la capitale le 27 novembre afin de demander l’annulation de cette réforme, purement et simplement. Delhi a donc vu marcher plusieurs centaines de milliers de paysans en colère, à pied ou en tracteur, provoquant d’énormes bouchons de plusieurs heures dans toute la capitale.
Tu peux donc comprendre à quel point la question paysanne est une question politique en Inde. Connaissant leur force au niveau électoral, ils n’hésitent donc pas à se rendre directement en ville pour protester, créant de nombreux problèmes pour les citadins (les bouchons effectivement, mais aussi des dégradations et des violences).
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Quelle est la réponse du gouvernement Indien? 🤨
💡 Le gouvernement n’a encore rien annoncé officiellement. La police a cependant bien évidemment été envoyée afin de calmer la manifestation. Armés de canons à eau et de gaz lacrymogène, les policiers indiens ont arrêté des centaines de manifestants les deux premiers jours de la manifestation. Les policiers souhaitaient même récupérer certains stades de cricket (très nombreux en Inde car il s’agit d’un sport populaire mais vides à cause de la crise sanitaire) pour acculer les manifestants. Le gouvernement central a refusé que cela n’arrive pour ne pas augmenter la colère des paysans qui représentent, comme nous l’avons dit plus haut, un électorat beaucoup trop important en Inde pour prendre des mesures aussi drastiques.
🌡️ Dans le gouvernement, la réforme est aussi clivante que dans la population. Il y a bien entendu la démission de la ministre mais le 20 septembre, date du vote de la réforme, les députés de la Chambre haute qui étaient contre les lois en sont venus à dégrader les micros et déchirer les copies du projet.
En ce qui concerne le premier ministre Narendra Modi, il ne souhaite pas rétropédaler. Le secteur agricole, peu touché par la crise de la Covid contrairement aux autres secteurs (le pays est très fortement touché par la crise sanitaire), pourrait permettre d’amortir la récession que connaît actuellement l’Inde. C’est pourquoi Modi a besoin de faire passer ces 3 lois libéralisant le système agricole et les tarifs.