Pendant des annĂ©es, des dĂ©cennies, la RĂ©publique Populaire de Chine (RPC) a affirmĂ© quâelle renoncerait Ă dĂ©ployer des forces militaires hors de son territoire, cherchant Ă sâopposer Ă lâinterventionnisme amĂ©ricain.
Câest encore ce que prĂ©cisait le Livre blanc sur la dĂ©fense en 2010 : « La Chine ne recherche pas lâhĂ©gĂ©monie ; elle ne sâengagera jamais dans la voie de lâexpansion militaire, quel que soit le niveau de dĂ©veloppement de son Ă©conomie ».
Elle sây engage pourtant de façon Ă©vidente en 2017, lorsquâelle ouvre Ă Djibouti sa premiĂšre base militaire hors de Chine. đ
Et en rĂ©alitĂ©, la RPC nâa pas attendu 2017 pour chercher Ă contrĂŽler militairement lâOcĂ©an Indien et ses routes commerciales : la stratĂ©gie du collier de perles, engagĂ©e depuis la fin des annĂ©es 1990, sâinscrit dans cette mĂȘme logique. đ
Mais quâest-ce donc que cette stratĂ©gie du collier de perles Chine ? Permet-elle Ă la RPC de sâaffirmer comme une puissance maritime rivale des Etats-Unis dans lâOcĂ©an Indien et en mer de Chine ?
1ïžâŁ Premier Ă©pisode de cette nouvelle sĂ©rie dâarticles sur lâaffirmation de la puissance chinoise.
Les enjeux de la stratĂ©gie du collier de perles Chine đ€
Une stratĂ©gie offensive de la marine de guerre chinoise đȘ
Câest en 2004 que lâexpression âcollier de perlesâ apparaĂźt pour la premiĂšre fois dans un rapport de la CIA. Elle a ensuite Ă©tĂ© reprise par lâexpert amĂ©ricain C. Pehrson, puis de façon abondante par les mĂ©dias amĂ©ricains ou indiens.
Elle dĂ©signe alors lâinstallation par la marine de guerre chinoise de points dâappui en mer de Chine et surtout dans lâOcĂ©an indien. Depuis la fin des annĂ©es 1990, la RPC a en effet signĂ© une sĂ©rie dâaccords bilatĂ©raux avec des Etats alliĂ©s ou partenaires afin de construire des bases militaires ou des infrastructures portuaires pouvant servir Ă sa marine. â
đ En somme, la Chine finance les infrastructures, et obtient en Ă©change une prĂ©sence de ses troupes dans des ports, ou âperlesâ, stratĂ©giques.
ContrĂŽler les mers et le commerce international face Ă la marine amĂ©ricaine đą
Lâenjeu majeur pour la marine de la RPC, câest le contrĂŽle des mers du Sud et de lâEst de lâAsie (OcĂ©an Indien, mer de Chine mĂ©ridionale et mer de Chine orientale), et de leurs routes commerciales majeures : la zone Asie-Pacifique est aujourdâhui au centre des Ă©changes commerciaux. đ
La rĂ©gion est marquĂ©e, depuis des dĂ©cennies, par lâomniprĂ©sence de la marine amĂ©ricaine, grĂące Ă ses nombreuses bases et par le dĂ©ploiement de sa flotte. Pour rivaliser avec les Etats-Unis sur le plan mondial, la Chine se doit de contrer cette hĂ©gĂ©monie, et câest (en partie) lâobjet du âcollier de perlesâ.
SĂ©curiser les approvisionnements Ă©nergĂ©tiques chinois đąïž
ContrĂŽler les mers et les routes commerciales, câest aussi sâassurer de la sĂ©curitĂ© de ses approvisionnements en Ă©nergie, alors que le modĂšle de croissance chinois est on ne peut plus Ă©nergivore.
La Chine est en situation de dĂ©pendance Ă©nergĂ©tique : elle dĂ©pend du Moyen-Orient pour le pĂ©trole et le gaz. De plus, 80% des importations Ă©nergĂ©tiques chinoises passent par le dĂ©troit de Malacca, infestĂ© de pirates et principalement dĂ©fendu par les USA. đŽââ ïž
Un blocage du commerce dans ce dĂ©troit menacerait la Chine dâune crise Ă©conomique majeure, mettant en danger la stabilitĂ© politique du pays, et la placerait dans une situation de dĂ©pendance Ă lâĂ©gard du rival amĂ©ricain et de sa flotte.
đ Le âcollier de perlesâ doit permettre aux ressources essentielles en Ă©nergie de parvenir sans encombre en Chine et de faire face Ă ce âdilemme de Malaccaâ, expression apparue en 2003 suite Ă un discours de Hu Jintao sur la question. đ
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Une multiplication des partenariats aux abords de lâocĂ©an Indien đ
Les nombreux accords bilatĂ©raux signĂ©s avec des alliĂ©s ou partenaires dans lâOcĂ©an Indien permettent Ă la marine de guerre chinoise dâaccĂ©der Ă de nombreux ports dâaccueil : Gwadar au Pakistan, Hambantota au Sri Lanka, Sittwe au Myanmar ou encore Chittagong au Bangladesh en font notamment partie.
Les âperlesâ de la Birmanie (lâautre nom de Myanmar) et du Pakistan sont particuliĂšrement importantes dans la stratĂ©gie de la RPC.
Le Myanmar, fidĂšle alliĂ© de la RPC đČđČ
La Chine, qui a une frontiÚre commune de 2000 km avec le Myanmar, est le premier partenaire commercial, et le grand allié de la Birmanie, de plus en plus isolée diplomatiquement depuis le génocide des Rohingyas et la récente répression des manifestations pro-démocratie par la junte militaire au pouvoir.
Il est donc logique que le Myanmar ait un rĂŽle majeur dans la stratĂ©gie du âcollier de perlesâ. De nombreuses installations portuaires sont ainsi Ă disposition de la marine chinoise : aux installations portuaires en eaux profondes de Sittwe sâajoutent les ports de Munaung et Hainggvi, ainsi quâune base sur lâĂźle Coco.
Surtout, la Chine a fait construire un gazoduc et un oléoduc entre le golfe du Bengale et Kunming, pour acheminer du pétrole et du gaz naturel en évitant le détroit de Malacca.
Gwadar, la âperleâ pakistanaise đ”đ°
InitiĂ©e par lâaccord sino-pakistanais de 1963, la coopĂ©ration entre la Chine et le Pakistan se fonde sur la coopĂ©ration nuclĂ©aire des deux pays et sur leur hostilitĂ© mutuelle pour l’Inde.
Cette coopĂ©ration, on la retrouve dans le cadre du âcollier de perlesâ, avec la trĂšs stratĂ©gique âperleâ de Gwadar. SituĂ© Ă 400 kilomĂštres du dĂ©troit dâOrmĂŒz, le port permet en effet Ă la marine chinoise de se rapprocher du Moyen-Orient, point de dĂ©part de son approvisionnement en Ă©nergie.
La Chine investit donc massivement dans ce port đ°: un terminal pĂ©trolier a Ă©tĂ© construit et une ZES (âZone Ăconomique SpĂ©cialeâ) inaugurĂ©e en 2006, bien que les infrastructures soient encore dĂ©sertes aujourdâhui.
Les craintes des pays voisins face au collier de perles Chine đš
LâinquiĂ©tante âligne Ă 9 traitsâ 9ïžâŁ
Le contrĂŽle des mers passe par de nombreuses revendications territoriales đ
Le contrĂŽle des mers, câest notamment le contrĂŽle de la mer de Chine mĂ©ridionale et de la mer de Chine orientale. Or, dans ces mers proches de la Chine, lâĂ©tablissement de âperlesâ ne passe pas par des accords bilatĂ©raux avec ses voisins, mais plutĂŽt par la force, par les revendications territoriales de plusieurs archipels.
Ces revendications se fondent sur le souvenir de la domination de lâEmpire du Milieu en mer de Chine, et donc sur lâidĂ©e dâune souverainetĂ© lĂ©gitime de la Chine sur cet espace maritime. Selon la âligne Ă 9 traitsâ Ă©tablie dĂšs 1947 et reprise par le PCC pour justifier ses ambitions maritimes, la Chine devrait contrĂŽler 80% des eaux de la mer de Chine mĂ©ridionale. đ
En plus du conflit sino-japonais sur la question des Ăźles Senkaku (ou Diaoyu) en mer de Chine orientale, la Chine revendique notamment sa souverainetĂ© sur lâatoll de Scarborough, contrĂŽlĂ© par les Philippines, et sur les Ăźles Natuna de souverainetĂ© indonĂ©sienne. đïž
Mais les exemples les plus emblĂ©matiques sont ceux des Ăźles Paracels, contrĂŽlĂ©es par la Chine et revendiquĂ©es par le Vietnam, et des Ăźles Spratleys, appropriĂ©es par la Chine qui les dispute avec 5 pays (TaĂŻwan, Vietnam, Philippines, Brunei et Malaisie). Ces Ăźlots sont polderisĂ©s, transformĂ©s en Ăźles par les forces de la RPC, pour pouvoir y Ă©tablir des bases aĂ©ronavales. Elles sâajoutent donc Ă la base de lâĂźle dâHainan pour constituer les premiĂšres âperlesâ du collier chinois.
Le droit international et surtout les Etats-Unis Ă la rescousse đșđž
Mais cette affirmation de force de la RPC et de sa marine suscite des tensions et des craintes chez plusieurs de ses voisins. Plusieurs accrochages entre flottes de guerre sont ainsi Ă dĂ©plorer, comme celui avec la marine vietnamienne dans les Paracels en 2014. đ„
Inquiets, plusieurs pays dâAsie du Sud-Est font appel aux organisations internationales, comme la Cour Internationale de Justice de La Haye qui dĂ©savoue les ambitions chinoises en mer de Chine en 2016 :
La ligne à neuf traits est dénuée de fondements historiques et juridiques.
Surtout, ces Etats se tournent de plus en plus vers les Etats-Unis pour assurer leur dĂ©fense face Ă la prĂ©sence de la marine chinoise et Ă sa tendance expansionniste. Les Philippines signent ainsi un accord de dĂ©fense bilatĂ©ral avec les USA en 2014. MĂȘme le Vietnam renoue avec les USA, qui lancent un projet de location dâune base militaire dans la baie de Cam Ranh la mĂȘme annĂ©e. đ€
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Les tensions avec lâInde đźđł
Les tensions et les rivalitĂ©s sino-indiennes ne datent pas dâhier. Depuis le conflit de 1962 remportĂ© par la Chine, les contentieux frontaliers sont loin dâĂȘtre Ă©teints. Depuis, les deux pays sont Ă©galement devenus les deux grandes puissances Ă©mergentes dâAsie et du monde, rivales sur le plan Ă©conomique et militaire.
Le âcollier de perlesâ chinois sâinscrit bien dans cette rivalitĂ© : la Chine noue des alliances et partenariats avec les pays voisins de lâInde, que sont le Pakistan, le Bangladesh, le Myanmar ou le Sri Lanka (mais pas avec lâInde). LâInde dĂ©nonce donc une stratĂ©gie chinoise dâencerclement, visant Ă lâisoler, et ne peut accepter de voir son grand rival accroĂźtre son contrĂŽle sur âsonâ ocĂ©an. đ
LâInde et son dirigeant nationaliste Narendra Modi ont alors choisi de riposter, en lançant la âLook East Policyâ en 2014 visant Ă se rapprocher des pays dâAsie du Sud-Est. Et câest dans le cadre de cette stratĂ©gie dâinfluence quâelle a signĂ© des accords avec les Seychelles et lâĂźle Maurice pour y installer des bases militaires.
đ Alors, on ne parlera pas de âcollier de perles indienâ, mais, face Ă lâaccroissement de la prĂ©sence chinoise dans lâOcĂ©an Indien, lâInde dĂ©veloppe bien une stratĂ©gie concurrente du âcollier de perlesâ chinois.
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Collier de perles Chine : quelques dates et chiffres Ă retenir đ€
1947 | Lâexpression âligne Ă 9 traitsâ est Ă©noncĂ©e pour la premiĂšre fois par la RPC |
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2004 | Lâexpression âcollier de perlesâ apparaĂźt pour la premiĂšre fois dans un rapport de la CIA |
2014 | Projet amĂ©ricain de location dâune base dans la baie de Cam Ranh au Vietnam |
2014 | âLook East Policyâ de lâInde |
2017 | La RPC ouvre Ă Djibouti sa premiĂšre base militaire hors de Chine |
80% | La Chine devrait contrĂŽler 80% des eaux de la mer de Chine mĂ©ridionale selon la âligne Ă 9 traitsâ |
80% | 80% des importations énergétiques chinoises passent par le détroit de Malacca |
Conclusion sur le collier de perles Chine đšđł
La stratĂ©gie du « collier de perles » tĂ©moigne de lâaffirmation de la puissance militaire de la RPC, et en particulier de sa marine, dĂ©terminĂ©e Ă mettre fin Ă lâhĂ©gĂ©monie amĂ©ricaine dans la zone Asie-Pacifique. đ
Mais une telle affirmation gĂ©nĂšre des craintes et des tensions avec certains de ses voisins. Celles-ci se traduisent par un accroissement de la prĂ©sence armĂ©e des deux rivaux de la Chine : les Etats-Unis rappellent quâils dĂ©tiennent (de loin) la premiĂšre marine mondiale; lâInde Ă©mergente cherche Ă tout prix Ă Ă©viter lâisolement.
Isoler lâInde, Ă©viter le dĂ©troit de Malacca contrĂŽlĂ© par les Etats-Unis, câest aussi lâobjet du grand projet des ânouvelles routes de la soieâ, dont le âcollier de perlesâ nâest que le pendant militaire.
Pour tout savoir sur ce projet majeur de Xi Jinping : rendez-vous au prochain Ă©pisode de cette sĂ©rie sur lâaffirmation de la puissance chinoise ! đ