Tu joues d’un instrument de musique, tu dessines, tu écris, tu danses ou tu prends des photos ? Alors tu es déjà un artiste en herbe ! Mais parler d’art dans une dissertation de philosophie, c’est tout de suite plus compliqué… Et encore plus quand le stress des épreuves du bac de Terminale t’empêche de réfléchir correctement ! Heureusement, cette fiche de cours est là pour t’aider à comprendre la notion philosophique d’art 🌈
Définition et notions ✨
La notion d’art est un concept riche d’histoire et de significations, qui ont bien souvent influencé la réflexion des philosophes. C’est pourquoi un petit détour historique est indispensable !
Étymologie et histoire du concept 📖
👉 Définition antique
Le mot “art” vient du terme latin “ars”, qui constitue lui-même une traduction du grec ancien τέχνη (technè). Et la technè, tu l’auras compris, a donné le mot français “technique” ! Ars comme technè correspondent en effet à la maîtrise d’un savoir-faire, d’une compétence. Pour les Grecs, la technè pouvait dès lors aussi bien désigner l’activité d’un sculpteur que celle d’un maçon. La technè avait en fait un spectre de significations assez large : métier, habileté, moyen…
💡 À noter
On a conservé dans certaines de nos expressions courantes cette acception technique de l’art. On évoque également parfois un “art de la table”, un “art d’être grand-père”… Cela renvoie à l’idée d’un certain talent, d’une habileté, pour dresser sa table ou être grand-père.
La notion d’art s’est progressivement autonomisée par rapport à son sens technique. Dès la fin de l’Antiquité, et plus largement au Moyen-Âge, on parle d’arts libéraux par opposition à ceux qui sont mécaniques :
- Les arts libéraux sont libres de toute contrainte vis-à-vis de la matière.
- Les arts mécaniques impliquent un rapport à la matière, par l’intermédiaire de diverses techniques.
⚠️ Attention !
Les “arts libéraux” sont encore loin de correspondre aux disciplines que l’on connaît aujourd’hui. Ils comprenaient en effet des disciplines liées à la langue et aux sciences, aussi variées que la grammaire, l’arithmétique, la musique ou l’astronomie. À l’inverse, la peinture et la sculpture sont alors décrites comme mécaniques !
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👉 Définition moderne
À la Renaissance, on commence à faire la distinction entre artistes et artisans. Leurs productions à cette époque commencent également à s’émanciper de leurs destinataires privilégiés, l’Église et la noblesse.
💡 Pour info
En 1793, la Grande Galerie du Louvre jusqu’alors réservée aux élites est ouverte au grand public. C’est une étape importante dans l’élargissement du public auquel sont destinées les œuvres.
Enfin, au XVIIIe siècle s’installe la définition de l’art comme recherche d’un certain idéal de beauté au travers de la création d’œuvres. C’est ce qu’on nomme l’esthétique, qui correspond au domaine des beaux-arts, caractérisés par leur désintéressement relativement à une quelconque utilité.
Cette nouvelle définition de l’art comme science du beau constitue un tournant majeur, qui a donné naissance à l’histoire de l’art. C’est aujourd’hui à cette définition qu’on songe le plus spontanément !
📖 Étymologie
Le grec αἴσθησις (aísthêsis) signifie sensation ! L’esthétique s’intéresse en effet aux perceptions ressenties face à une œuvre et au jugement de goût qui en découle pour le spectateur.
👉 Réflexion contemporaine
De nombreux auteurs de l’époque contemporaine (qui commence dès le début du XIXe siècle) ont pointé l’idée d’une crise de l’art, face à sa transformation en marché et face à son institutionnalisation.
De nouveaux enjeux se sont en effet développés du fait de l’évolution rapide des pratiques artistiques (naissance de la photographie, du cinéma…) liée à celle de progrès techniques. On en discute ensemble un peu plus tard ! 😉
Avant de rentrer dans le vif du sujet, soulignons que la philosophie s’intéresse à notre sujet en l’abordant sous deux angles principaux :
- Du point de vue de la création : dépend-elle de certaines règles ou du génie ?
- Du point de vue de la réception : y a-t-il des normes quand on juge d’une œuvre ?
Mais il existe bien sûr d’autres enjeux très importants auxquels on va s’intéresser ensemble.
L’Antiquité : l’art comme imitation 🪞
Platon : l’art, une illusion trompeuse 🌀
❌ L’art n’a aucune utilité sociale
Si tu es calé en philosophie, tu sais peut-être en quoi consiste la cité idéale platonicienne… C’est la cité juste fondée sur la raison et le gouvernement des philosophes-rois.
Au sein de celle-ci s’applique le principe de la division du travail, permettant que la couverture des besoins de chacun soit répartie entre les membres de la collectivité. Chaque tâche est spécialisée, et chaque citoyen est un technicien aguerri dans son domaine. 💪
Tu te demandes pourquoi on parle de travail alors, qu’a priori, l’art s’en distingue (au moins en partie) ? Justement ! Le problème, c’est que l’artiste ne joue aucun rôle social dans cette division du travail, il n’a aucune fonction spécialisée.
Pire : il pervertit les mœurs de ses concitoyens. En bref, l’artiste ne sert à rien, si ce n’est à détourner ses concitoyens de leurs besoins réels en créant des besoins et des sources de plaisir inutiles.
À lire aussi
Pour en savoir plus sur la philosophie platonicienne, lis notre fiche de cours sur la célèbre allégorie de la caverne !
❌ Les œuvres sont mauvaises
Elles sont mauvaises à double titre ! D’un point de vue épistémologique, d’abord (c’est-à-dire par rapport au savoir et à la vérité), mais aussi d’un point de vue moral.
🍇 Les raisins de Zeuxis
Cet exemple est souvent donné pour illustrer la thèse de Platon. Zeuxis est un peintre antique. La légende raconte que les raisins qu’il avait peints étaient tellement réalistes que les oiseaux venaient les picorer sur la toile ! Or notre philosophe dénonce ce pouvoir d’illusion.
Le livre X de la République critique par l’intermédiaire de Socrate la tentative d’usurpation du réel par l’artiste, au travers d’un célèbre exemple : le lit et ses trois degrés différents de vérité. Il existe trois types différents de lit :
- L’idée du lit créée par la divinité : c’est l’essence ou la forme réelle du lit ;
- L’objet-lit fabriqué par l’artisan : c’est une apparence.
- La représentation du lit qui est l’œuvre du peintre : c’est un pur simulacre, une illusion.
Alors que l’artisan recopiait l’idée même du lit, l’artiste produit une copie de copie, une imitation de l’apparence. Si l’art est une technique, c’est donc une technique de l’illusion ! Les objets produits par l’art ne sont donc que des simulacres. La métaphore du miroir tournant très vite dans tous les sens est ainsi utilisée pour présenter l’artiste comme prestidigitateur.
🫧 Le savais-tu ?
L’écrivain du XIXe siècle Stendhal récupère cette définition de l’art comme imitation, cette fois de façon positive, dans son célèbre roman Le Rouge et le Noir (1830) : “Un roman, c’est un miroir que l’on promène le long d’un chemin”.
❌ L’artiste est un imposteur séduisant
On s’est intéressé au point de vue philosophique de Platon sur la création. Mais qu’en est-il de la réception de l’œuvre ? Dans Ion, le philosophe présente les effets néfastes de l’extase du poète Ion au cours de ses récitations, qui déteint sur ses spectateurs pour créer une “chaîne d’inspirés” reliant les dieux, les muses, les rhapsodes et le public.
L’imitation selon lui ne correspond donc pas tout à fait à une simple copie : elle est en effet à l’origine d’une profonde métamorphose, chez le poète exalté comme chez les spectateurs livrés à un enthousiasme démesuré.
Paradoxalement, Platon confirme ici la puissance de l’art comme source d’émotions, tout en la critiquant !
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Aristote : la science poétique 🧪
✅ L’art imite la nature
Comme son maître Platon, Aristote considère que l’art est imitation (mimèsis) : il lui donne toutefois un rôle très positif. Dans sa Poétique, Aristote affirme en effet qu’il existe une “tendance commune à tous de prendre plaisir aux imitations”.
Par nature, les êtres humains aiment imiter ; c’est ce qu’ils font dès leur tendre enfance pour apprendre des autres. De même, la contemplation des images (par exemple d’un tableau) peut également être une importante source d’enseignement !
💡 Pour info
Le terme de “poétique” vient du grec ποίησις/poíēsis (création, fabrication), qui lui-même vient du verbe ποιέω/poiéō (faire).
Parce qu’elle imite la nature, la poétique ne peut se passer de certaines règles. Pour Aristote, la beauté réside notamment dans un certain ordre et une certaine cohérence, par exemple au moyen de l’unité d’action, afin que l’histoire paraisse vraisemblable. On peut donc parler d’une forme de science poétique chez Aristote : il faut une certaine technique d’imitation pour produire des œuvres représentant les actions humaines.
🫧 Le savais-tu ?
Certaines des règles du théâtre classique français au XVIIe siècle, comme l’unité de temps, de lieu, d’action, seraient inspirées de la Poétique d’Aristote. Pourtant, il n’évoque pas vraiment ces unités, à part celle d’action…
✅ L’art est source de plaisir
Si les œuvres se limitaient à l’enseignement qu’elles délivrent, on y prendrait sûrement beaucoup moins de plaisir… Or, pour Aristote, leur fonction réside précisément dans le plaisir qu’elles procurent. C’est l’un des premiers philosophes à avoir souligné l’importance du plaisir éprouvé dans l’expérience artistique. 👍
La finalité de l’art, le plaisir, se fonde en partie sur un principe intellectuel. En effet, ce qui est important dans une tragédie par exemple, c’est le général, l’universel. Il faut donc selon Aristote s’intéresser aux actions humaines dans leur généralité plutôt qu’aux caractères particuliers des personnages.
✅ L’art produit une catharsis
Attention ! L’art n’est pas seulement fondé sur un plaisir intellectuel : il est tout autant fondé sur des sentiments. Selon Aristote, ces sentiments sont la crainte et la pitié. Et le but de la tragédie, c’est la purgation (catharsis) de ces émotions.
💡 Pour info
La catharsis, de base, est un terme médical pour qualifier un processus physiologique de purification. ✨
Tout l’intérêt de l’art est donc de nous faire prendre plaisir à des sentiments que l’on n’aime pas du tout éprouver dans la réalité. Là est le pouvoir de l’imagination : purifier l’âme en inversant les affects, par la représentation d’émotions intenses qui déteignent sur les spectateurs. Après cette expérience, tu es alors supposé être purifié, apaisé.
🧿 Exemple
Œdipe-roi est une très célèbre tragédie du dramaturge antique Sophocle. Cette pièce est prise en exemple par Aristote : ce qui inspire les sentiments de pitié et de crainte, c’est qu’elle représente la chute d’un homme semblable à tous, ni excellent ni médiocre, qui subit une situation tragique par faute et non par vice.
Tu n’as peut-être jamais vu de pièce de théâtre, mais si tu as déjà pleuré devant un film par exemple, tu as d’une certaine manière déjà expérimenté la catharsis !
Modernité et naissance de l’esthétique 🖼️
Kant et la faculté de juger 🧐
Pour étudier la philosophie de l’art, tu ne vas pas pouvoir passer à côté… Kant est un monument dans ce domaine !
Qu’est-ce que le beau ? 💫
Toute la première partie de sa Critique de la faculté de juger (1790) est consacrée à l’esthétique qui pose cette question : qu’est-ce que le beau ? Plus précisément : comment peut-on juger du beau ?
🫧 D’où vient le sentiment de beauté ?
Le plaisir qu’on éprouve face à une belle musique ou un beau tableau, par exemple, vient du libre jeu des facultés (l’imagination, la sensibilité et l’entendement). C’est pourquoi le sentiment qu’une chose est belle donne le sentiment d’être vivant : toutes nos facultés entrent en jeu, sans entrer en concurrence.
Si on parle parfois d’un “besoin d’art”, c’est qu’il satisfait toute notre nature par un état contemplatif inscrit dans le sentiment de la liberté de nos facultés, en rupture avec nos soucis et nos préoccupations du quotidien.
Le jugement esthétique se distingue en premier lieu du jugement de connaissance : il est subjectif, c’est-à-dire qu’il touche au sentiment éprouvé, et non pas à aux caractéristiques objectives de l’objet.
Voici 4 éléments de définition du beau donnés par Kant :
📌 Le beau est l’objet d’une satisfaction désintéressée.
La simple représentation d’un objet d’art nous suffit, nous ne sommes pas intéressés par son existence. Le beau se distingue donc de l’agréable (qui sollicite nos sens) et du bon (qui sollicite un concept de ce qui est bon), car l’agréable comme le bon lient le plaisir à un certain intérêt.
📌 “Est beau ce qui plaît universellement sans concept”.
Cette définition peut faire un peu peur au premier abord, mais elle est particulièrement importante ! Elle signifie que chacun, en affirmant qu’une chose est belle, exige l’adhésion des autres. Pour ce qui est beau, l’expression “à chacun ses goûts et ses couleurs” n’est pas valable !
Dès lors que nous jugeons qu’une chose est belle, on la trouve teeellement belle que tout se passe comme si notre jugement avait une valeur universelle. Kant parle assez paradoxalement d’une “universalité subjective”, qui permet d’expliquer le mystère du beau : il s’agit d’un ressenti personnel, mais on considère qu’il est valable pour tout le monde.
C’est peut-être ce qui t’arrive quand tu ne comprends pas qu’on puisse ne pas apprécier le dernier album de ton groupe préféré autant que tu le fais. 🎸
📌 Le beau est une finalité sans fin.
Le beau plaît “sans concept”… Cela signifie que le sentiment de beauté ne vise aucune fin, qu’elle soit subjective (agréable) ou objective (bon). Le beau a néanmoins une finalité, mais une finalité formelle c’est-à-dire purement subjective.
Kant fait par ailleurs une distinction importante entre :
- Beauté adhérente : c’est la perfection d’un objet vis-à-vis du concept de ce qu’il doit être. Par exemple : un beau cheval.
- Beauté libre : elle correspond à un jugement de goût pur, qui ne suppose aucun concept de ce que doit être l’objet.
📌 Est beau ce qui est reconnu comme objet d’une satisfaction nécessaire.
Si tu supposes que chacun trouvera “belle” une chanson, c’est que tu considères qu’il existe un lien causal nécessaire entre l’objet de ta satisfaction (la chanson) et le jugement qui dit “c’est beau”.
Beau VS sublime 💥
“Est sublime ce en comparaison de quoi tout est petit” : le sublime, c’est ce qu’on associe à l’infini et l’illimité ! Contrairement au sentiment du beau associé à sa qualité et à un sentiment d’équilibre et d’ordonnance, le sublime peut être éprouvé à la vue de choses informes, démesurées. Le spectacle d’une tempête peut par exemple soulever le sentiment de sublime.
N’est pas génie qui veut 💅
On s’est intéressé au point de vue kantien sur la réception du beau par le spectateur. N’importe qui peut juger et exprimer un goût… Mais pour être artiste et créer par soi-même, il faut du génie ! C’est un don naturel qui n’est pas donné à tout le monde… Ou, pour le dire joliment comme Kant : “Le génie est le talent (don naturel) qui donne à l’art ses règles”.
🧑🎨 Le génie torturé
L’image de l’artiste visionnaire et incompris constitue un véritable topos. On peut par exemple songer au peintre Claude Lantier, personnage de L’Œuvre d’Emile Zola : obsédé par sa peinture, il se tue à la tâche pour parvenir au chef-d’œuvre.
Voici les 4 caractéristiques principales du génie :
👉 Originalité
👉 Exemplarité
👉 Incapacité à décrire la façon dont il donne naissance à ses productions (car il le fait de façon naturelle, spontanée)
👉 Ses productions appartiennent au domaine des beaux-arts, pas des sciences
📖 Exemple
Au début du XIXe siècle, certains artistes comme l’écrivain français Théophile Gautier revendiquent l’Art pour l’art. Tu peux utiliser cette idée pour illustrer les thèses kantiennes : selon ses partisans, l’art ne doit pas viser une quelconque utilité ni véhiculer un message moral ou politique : son seul but est la beauté. C’est donc une conception qui refuse l’art engagé. ❌
Hegel : la vérité supérieure de l’art 👑
L’art, c’est l’union du sensible et du spirituel
Dans son Esthétique (1830), Hegel définit ce terme comme la science du beau, en ce qu’elle ne concerne que le beau artistique, contrairement à Kant qui prenait également en compte la beauté naturelle. Pour Hegel, “le beau artistique est plus élevé que la beauté dans la nature”, car l’esprit est supérieur à celle-ci.
Pour Hegel, plus une œuvre est spirituelle, plus elle est belle ! La vérité se manifeste selon lui sous une forme sensible au travers des œuvres d’art : “l’œuvre artistique tient ainsi le milieu entre le sensible immédiat et la pensée pure”.
💡 Pour info
L’ouvrage majeur de Hegel est sa Phénoménologie de l’esprit. Il y explique comment l’esprit prend progressivement conscience de lui-même, en passant de la “certitude sensible” au “savoir absolu”. L’Esthétique souligne que l’art est l’une des étapes de ce passage, constituant un “intermédiaire sensible” entre apparence extérieure et vérité spirituelle.
En ce sens, l’art manifeste les mêmes vérités spirituelles que la religion ou la philosophie. Il n’est cependant pas le lieu privilégié de manifestation de l’esprit. D’autres formes de manifestation de la vérité, non sensibles, sont supérieures à l’art : la religion, la philosophie, la politique.
🫧 Le savais-tu ?
L’art a longtemps été subordonné aux pouvoirs religieux et politiques. Plus largement, les artistes ont pendant une longue période largement puisé dans des thèmes religieux pour trouver leurs sources d’inspiration.
Exemples :
- Religieux : La Cène de Léonard de Vinci, La Création d’Adam de Michel-Ange… Les exemples de tableaux inspirés de thèmes religieux sont nombreux.
- Politique : au début du XIXe siècle, Napoléon commande au peintre Jean-Louis David un tableau pour représenter la cérémonie de son couronnement : cette commande donne naissance au très célèbre tableau intitulé Le Sacre de Napoléon.
🚨 Attention
Au bac de philosophie, n’hésite pas à donner des exemples (surtout pour une telle thématique) ! C’est très apprécié par les professeurs car ils permettent de rendre ton propos encore plus clair en l’illustrant. 🖌️
À lire aussi
Viens jeter un œil à notre fiche de cours sur la nature et la culture en philosophie !
La mort de l’art 🪦
L’idée d’une “mort de l’art” ne signifie pas qu’Hegel croit en la fin de la production de nouvelles œuvres. Ce qui meurt est l’art comme expression du spirituel et du divin. Il perd sa signification première de manifestation sensible du vrai. 👋
L’art reste pour nous, quant à sa suprême destination, une chose du passé.
Hegel
Esthétique
L’art est dès lors relégué dans notre représentation (c’était déjà l’idée de Kant, avec ses théories sur l’esthétique comme rapport à un sentiment subjectif). L’art est devenu autonome vis-à-vis de la religion ; cela témoigne du fait qu’il a perdu son contenu spirituel et qu’il risque donc de perdre sa signification supérieure.
Le danger, c’est alors que l’art devienne une simple source de divertissement face aux créations du passé, et non plus une contribution renouvelée du présent…
Nietzsche : l’art comme physiologie
Le rêve et l’ivresse 🍾
Ce philosophe allemand du XIXe siècle semble proposer une solution à la “mort de l’art”, en se positionnant contre les idéalistes comme Platon ou Kant qui consacrent une réalité transcendante des idées, distincte et supérieure au monde sensible. L’art est génial, précisément car il affirme la vie comme puissance d’illusion et d’apparence.
Si la fin de l’art déclarée par Hegel est devenue effective, cela n’empêche pas une esthétisation générale de l’expérience : le monde lui-même peut devenir un phénomène esthétique. L’art n’est donc pas spécialement lié aux œuvres en elles-mêmes. On peut vivre en artiste sans en créer, dès lors que tout en acceptant le tragique de l’existence sans se résigner, on affirme sa vie propre.
💡Le savais-tu ?
Dans ses premiers écrits, Nietzsche s’est beaucoup inspiré d’un autre philosophe allemand, Schopenhauer. Il a finalement rejeté les idées trop pessimistes de celui-ci… Schopenhauer envisageait en effet l’art comme une simple suspension de la souffrance impliquée par le fait de vivre et par la pénibilité de la réalité.
Dans La Naissance de la tragédie, Nietzsche déclare plus précisément que l’art est un combat entre deux contraires :
- L’apollinien (art plastique) : principe du rêve, de la mesure, de la belle apparence.
- Le dionysiaque (art non plastique) : total oubli de soi, ivresse, dissolution du sujet en une harmonie universelle extatique.
Le dionysiaque est supérieur à l’apollinien, et constitue le véritable état artistique. En effet, dans l’apollinien, l’homme se situe dans une forme de vision parfaitement limpide de la belle apparence comme rêve ; mais cette vision est toujours extérieure. Dans le dionysiaque, au contraire, on devient soi-même œuvre. L’art met donc avant tout en contact avec l’élément dionysiaque, qui constitue le fond de la vie. Ici, c’est donc toute la nature, les humains compris, qui devient art.
L’homme n’est plus artiste, il est devenu œuvre d’art : le pouvoir artistique de toute la nature se révèle ici sous le tressaillement de l’ivresse.
Nietzsche
Naissance de la tragédie
“Jouer avec la vie” 🎇
Dans la philosophie nietzschéenne, tu l’auras compris, le processus créateur l’emporte sur la chose créée. L’art est lié à un processus physiologique, qui se vit dans la chair, par lequel l’artiste se naturalise, revient à une nature plus élémentaire dans laquelle il manifeste sa “volonté de puissance”.
Nietzsche va jusqu’à affirmer que le génie dans l’acte de procréation artistique se confond avec l’artiste originaire du monde.
Pourtant, attention ! Il ne croit pas au mythe du pur génie inné et naturel. Une certaine dose de convention est également nécessaire à la création. Ce mélange de liberté et de contrainte artistiques est ce qu’il appelle joliment “danser dans les chaînes” (aphorisme 140 du Voyageur et son ombre).
L’art à l’ère contemporaine 🌅
La reproductibilité technique 🖨️
Le philosophe américain Walter Benjamin est connu pour son texte L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique (1936). Il se fonde en particulier sur l’apparition de la photographie et du cinéma les décennies qui ont précédé l’écriture de son texte.
Il est inquiet qu’à l’époque de la reproductibilité technique, les œuvres perdent leur “aura”. Multiplier les exemplaires reviendrait en effet à substituer une existence en série à l’occurrence unique. Il s’agit pour Benjamin d’une perte de l’authenticité de l’œuvre, c’est-à-dire la perte de son hic et nunc (ici et maintenant), “l’unicité de son existence au lieu où elle se trouve”.
Il ne dénonce pas la reproduction en tant que telle, quand elle est manuelle, artisanale, mais incrimine la reproduction mécanique, car ce type de reproduction arrache l’œuvre à son contexte. Il craint que l’humanité ne perde alors son lien à une temporalité et un sens dont l’œuvre est à la fois le véhicule et l’héritage. La reproduction met à mal la tradition, car l’art ne joue plus son rôle de racine et de repère historique.
Ce déclin de l’aura serait selon lui dû à certains conditionnements sociaux, notamment liés à la croissance des masses. Le mode de réception de l’œuvre par les masses n’est plus le recueillement, mais la distraction. Pour Benjamin, non seulement les gens vont au cinéma seulement pour se divertir, mais en plus, c’est critiquable. C’est un peu un boomer, oui…
Ainsi, la valeur culturelle, presque sacrée, des créations artistiques, a été remplacée par sa valeur d’exposition. Cette valeur d’exposition est susceptible d’impliquer la transformation de l’art en simple marché qui s’intéresse à la valeur marchande des productions d’art. La quantité prime alors sur la qualité.
On pourrait cependant également dire que cette sérialisation et cette valeur d’exposition permettent également une certaine démocratisation, par l’ouverture de l’art à un public plus vaste.
💡 Pour info
Benjamin écrit ce texte à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Dans ce contexte politique, il considère que le fascisme tire profit de la reproduction technique par une esthétisation de la vie politique. L’acteur de cinéma et la personnalité politique se rapprocheraient de plus en plus : les deux souhaitent se retrouver sous les feux des projecteurs et vendre leur image publique au plus grand nombre. Le paroxysme de cette esthétisation de la vie politique serait la guerre, dont le caractère prétendument glorieux peut être encensé par les artistes au service d’un régime. Pour Benjamin, la perméabilité entre art et politique est très dangereuse.
Ces propos ne sont donc pas sans évoquer la propagande, qui a toujours utilisé l’art comme moyen de véhiculer certains messages idéologiques.
L’art, un capital culturel ? 🧠
La notion de capital culturel, ça te parle ? Elle a été créée par le très célèbre sociologue Pierre Bourdieu ! Dans son texte L’Amour de l’art : les musées d’art européens et leur public (1968), il s’est notamment intéressé à la signification sociale des musées. Pour lui, la culture n’est pas quelque chose d’inné, et l’art de voir doit s’acquérir par un certain apprentissage.
Le musée est important pour ceux qui y vont dans la mesure où il leur permet de se distinguer de ceux qui n’y vont pas
Bourdieu
L’Amour de l’art
Entre les différentes classes sociales, il existe une inégale distribution des outils nécessaires à l’appropriation des biens culturels. L’art et la culture deviennent donc des marqueurs sociaux.
À lire aussi
Pour en savoir plus sur la notion de capital, viens lire notre fiche de cours sur Karl Marx !
📖 Exemple
Certains artistes cherchent à rendre l’art plus accessible… C’est par exemple le cas du street art dont Banksy est l’un des représentants les plus célèbres ! Ses messages ont d’ailleurs très souvent une fonction politique, de nature anticapitaliste.
Comme tu as pu le voir, l’art est une notion qui mobilise de nombreuses thématiques. On espère que cette fiche aura réglé tes problèmes pour tout comprendre sur les différents enjeux de la philosophie de l’art ! A bientôt sur les Sherpas 😉