Lors d’un dîner avec tes copains, vous discutez de l’allégorie de la caverne de Platon. Quelqu’un évoque Hitler. Rien à voir donc… Et là, un autre s’écrie « on a atteint le point Godwin ! ». Rire général de l’assemblée, malaise pour celui ayant mentionné l’argument maudit.
Mais ça consiste en quoi exactement, ce point Godwin ? D’où vient-il ? Et comment l’éviter ? On va te l’expliquer dans cet article !
Point Godwin : d’où vient-il ?
La loi Godwin
Le point Godwin découle directement de la loi de Godwin (jusque-là, rien de bien difficile). C’est un principe énoncé par Mike Godwin, un avocat américain en 1990. Selon lui,
« Plus une discussion en ligne se prolonge, plus la probabilité d’y trouver une comparaison impliquant les nazis ou Adolf Hitler s’approche de 1. »
En France, on mélange souvent ces deux concepts. La loi est souvent appelée (à tort) « Point Godwin » et désigne le moment de la conversation où Hitler débarque sans crier gare. 🚂
Que signifie le point Godwin ?
On va te reformuler plus simplement la loi de Godwin… Selon lui, tôt ou tard dans un débat, on parlera de nazisme et/ou d’Hitler. En effet, ils représentent la figure du mal, permettant de faire des analogies extrêmes et d’user d’hyperboles ! 👹
Si une discussion très éloignée d’un quelconque débat idéologique mène à parler de nazisme ou d’Hitler, alors la comparaison est perçue comme un signe d’échec de la discussion. Pas la peine d’aller plus loin, on ne sortira plus rien de neuf ; il vaut mieux s’arrêter là.
En France, le mot « point », peut désigner :
- le moment de la discussion auquel la comparaison arrive ; dans ce sens du terme, on atteint le point Godwin : plus d’arguments, esprits échauffés… ;
- le point en tant que récompense/mauvais point attribué(e) au participant qui vérifie la loi de Godwin en venant mêler Hitler ou le nazisme à une discussion dont ce n’est pas le sujet ; on marque ou gagne un point Godwin. C’est une manière de se moquer.
Le savais-tu ? 💡
Godwin a énoncé la loi en elle-même et pas le “point” qui en découle. La notion de point est propre aux francophones… Point en anglais signifie à la fois “argument” et “point” (tu vas devenir bilingue si tu lis nos articles régulièrement).
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L’histoire du point Godwin
Le reductio ad Hitlerum dans les années 1950
À l’origine de la loi se trouve le « reductio ad Hitlerum ». Cette expression est née en 1951 dans un article du philosophe Léo Strauss pour le média Measure: a critical journal. Il l’a reprise et popularisée en 1953 dans son livre Natural Right and History.
Cette expression latine désigne le procédé qui consiste à associer son adversaire à Hitler pour contester ses idées. Ce type de sophisme que l’on nomme « déshonneur par association » consiste à réfuter le point de vue d’un interlocuteur en l’associant à une personne ou un groupe que l’on juge méprisable. C’est pour cela que le point Godwin est spécifiquement lié à Hitler.
✅ Définition
Selon le Larousse, un sophisme est « un argument qui, partant de prémisses vraies, ou jugées telles, aboutit à une conclusion absurde et difficile à réfuter ».
Déjà avant la Seconde Guerre mondiale, on évoquait des figures bibliques pour discréditer. Par exemple, Ponce Pilate et Judas Iscariote qui sont responsables de la mort de Jésus, étaient évoqués comme figures d’analogie.
La loi de Godwin dans les années 1990
Le reductio ad Hitlerum n’est pas la même chose que le point Godwin. D’ailleurs, lorsque Godwin a énoncé cette loi, c’était dans un contexte particulier.
Il utilisait régulièrement Usenet (l’ex-Internet, un truc de vieux), un système en ligne de réseau de forums. Après avoir observé de nombreuses discussions, Godwin fait souvent le constat que tout mène au nazisme lorsque les gens n’ont plus d’arguments. L’objectif ? Noircir son adversaire afin de le décrédibiliser. C’est de là qu’il tire sa loi.
Depuis cette loi, on parle de « recevoir un point Godwin » lorsqu’on utilise ce procédé et par extension, on ramène sur la table des comparaisons grotesques sur les nazis.
Pour les autres contributeurs qui assistent à cette « remise de prix », c’est un moyen de reconnaître ceux dont on peut ignorer l’argumentation infondée. Celui qui reçoit ce point s’arrête car il réalise qu’il est risible. Continuer sur sa lancée, c’est risquer de ne plus être entendu du tout. C’est aussi un signal donné aux autres qu’il est inutile de continuer de répondre sur le sujet disputé.
La diffusion de ce point au-delà d’Internet
Ce phénomène s’est accéléré avec la naissance et la diffusion d’Internet dans le monde dans les années 1990.
Cependant, on s’est rendu compte que cette technique ne s’arrêtait pas aux discussions sur les réseaux sociaux et les forums. Elle s’est beaucoup étendue à la sphère politique depuis mais aussi dans les discussions du quotidien.
Quelques exemples de Point Godwin du XXIème siècle
Voici quelques exemples de points Godwin dans les médias et les discours politiques français au XXIᵉ siècle.
- En 2009, Christine Albanel, ancienne ministre de la Culture dit sur la loi Hadopi : « Je suis accablée par toutes les caricatures sur tous les bancs de l’obstination qui consistait à présenter Hadopi comme une antenne de la Gestapo. ». Cela provoque de vives réactions à l’Assemblée nationale.
- Le député du Parti Socialiste Pierre Moscovici évoque en 2010 au moment de l’expulsion des Roms « un climat très Vichy ».
- En 2017 également, en soutien à Emmanuel Macron lors de l’entre-deux tours présidentiels, l’ex-maire de Paris Bertrand Delanoë déclare : « Dans les années 30 en Allemagne, l’extrême gauche n’a pas voulu choisir entre les sociaux-démocrates et les nazis. Hitler a été élu par le suffrage universel. », afin de décourager les gens à voter Marine Le Pen.
- Laurent Wauquiez en 2018, en parlant de la Procréation Médicalement Assistée, dit : « Tout ceci a un nom, c’est l’eugénisme ; tout ceci a été fait par un régime, c’est le nazisme. ».
Les critiques et limites du point Godwin
Cette loi présente toutefois quelques limites. 😬
- Le mot « loi » est assez mal employé. D’une part, il n’y pas de corrélation nécessaire entre la durée de l’échange et la probabilité de conclure sur l’incruste du facisme dans le dialogue. D’autre part, aucune étude n’a été faite pour la vérifier. C’est donc plus une théorie qu’une « loi ».
- En philosophie logique, l’atteinte du point Godwin n’exprime pas nécessairement l’épuisement préalable de tous les stratagèmes de conviction possibles. Selon L’art d’avoir toujours raison d’Arthur Schopenhauer, il en existe trente-sept autres. Il te reste de la marge pour argumenter ! 😌
- On attribue parfois rapidement le point Godwin à quelqu’un, alors que rien n’indique que la discussion s’achemine vers le nazisme : échappatoire pour éviter de répondre sur le fond, tentative de discréditer l’interlocuteur en sous-entendant que son raisonnement n’est pas digne d’intérêt… Les raisons sont multiples.
- Lorsque quelqu’un atteint le point Godwin lors de la conversation, ses arguments peuvent être rejetés alors que sa démonstration est bonne.
- Le point Godwin peut être utilisé exprès sur Internet : faire une analogie avec le nazisme ou Hitler alors que rien ne permet de faire un lien est devenu un jeu pour les pirates informatiques. Leur but ? Faire le buzz !
À consommer avec modération donc ! 📣
Le savais-tu ?
Selon le philosophe François De Smet, la popularité du point Godwin n’est pas un hasard. C’est le signe d’une époque n’ayant plus de boussole éthique et d’une incapacité à désigner le Mal avec des valeurs morales et des repères éthiques non liés à l’Histoire.
« N’y a-t-il pas dans l’obsession pour le nazisme, l’hitlérisme et l’holocauste, telle qu’elle se manifeste sous son visage le plus pop à travers le Point Godwin, une des plus embarrassantes vérités de notre temps ? » écrit l’auteur.
Autrement dit, ce n’est pas dans la culture populaire qu’on va trouver une figure mauvaise. C’est vrai que des personnages comme Dark Vador ou Voldemort ne sont pas universellement connus comme des incarnations du mal… 🧟
Comment éviter d’atteindre le point Godwin ?
Voici quelques conseils pour tenter d’éviter le point Godwin, surtout lors de sujets controversés :
- Évite les comparaisons avec Hitler et tout ce qui s’en rapproche, de près ou de loin, dans les conversations, à moins que ce ne soit vraiment nécessaire.
- Reste calme dans les débats d’opinion. Dans les discussions « à la française », on a tendance à laisser s’échauffer l’esprit. Au contraire, il ne faut pas que tu laisses les émotions prendre le dessus ! Car ces moments amènent souvent au point Godwin. En cas de tensions, arrête-toi deux secondes pour reprendre ta respiration. Mieux, utilise l’écoute active !
- Laisse toujours l’adversaire finir sa phrase… même quand il mentionne Hitler ou les nazis. Ainsi, tu pourras comprendre où il veut en venir avant de signaler un point Godwin. Citer la Gestapo ne signifie pas nécessairement que l’idée présentée est mauvaise !
Ça y est, le point Godwin n’a plus de secret pour toi ? Nickel ! On espère que cette fiche t’aura aidé à mieux comprendre cette notion essentielle en art oratoire, mais également pour ta vie de tous les jours. N’hésite pas à laisser un commentaire ! 😎