Ouïghours en Chine : les camps de l’horreur

Tu as peut-être entendu parler des ouïghours récemment, notamment lors de l’interview d’Emmanuel Macron pour Brut. Il se peut aussi que tu sois totalement passé à côté de cette actualité pourtant cruciale. En effet, en Chine, une grande partie du peuple des ouïghours et d’autres minorités sont enfermées dans des camps. Il y aurait près de 380 camps de détention et 3 millions de ouïghours seraient enfermés dans des conditions horribles. Si je t’en parle aujourd’hui, c’est pour t’éclairer sur la situation alarmante de ces populations au Pays du Milieu. Ensemble, nous allons tenter de comprendre la globalité de la situation et tous les enjeux qui lui sont liés.

Qui sont les Ouïghours ?

Commençons par comprendre qui est ce peuple et quelle est sa position au sein de la population chinoise. Les ouïghours sont un peuple d’Asie Centrale, ils vivent dans la région autonome chinoise du Xinjiang. Ce territoire est gigantesque, il fait trois fois la superficie de la France !

Les ouïghours sont environ 12 millions en Chine. C’est une minorité pour la Chine qui compte presque 1,4 milliards d’habitants. Ce peuple est très différent de la majorité des chinois puisqu’il est turcophone (les ouïghours parlent le turc et non le mandarin) et majoritairement musulman.

D’ailleurs, le territoire occupé par les ouïghours a une histoire singulière et se distingue du reste du pays. En effet, la Chine ne s’occupe de ce territoire que depuis 1949. En outre, le territoire du Xinjiang a déjà été indépendant à deux reprises : en 1933 et en 1944. Les ouïghours et les minorités appellent d’ailleurs ce territoire le Turkménistan Oriental et ils ont un drapeau bleu. Cette couleur bleue du drapeau a d’ailleurs été reprise sur les réseaux sociaux pour montrer l’indignation face aux camps où sont enfermés les ouïghours.

Je tiens aussi à rappeler que dans cette région, il n’y a pas que les ouïghours qui sont persécutés. En effet, d’autres minorités comme les kazakhes et les kirghizes subissent le même sort. C’est donc toute la région du Xinjiang qui est victime de ces actes. Tu te demandes sûrement pourquoi ont été créés ces camps et quel est le but de la Chine. C’est à cette question que je vais tenter de répondre désormais.

Pourquoi la Chine enferme les ouïghours ?

Comme tu as pu le constater, les ouïghours ont une culture et une histoire singulière. Cette différence déplaît fortement au gouvernement communiste chinois. En effet, le fait que ce territoire et sa population soient si différents du reste du pays est vu par le parti au pouvoir comme une menace à l’équilibre en place. Le pouvoir en Chine repose en grande partie sur l’uniformité et sur le contrôle quasi total de la population. En enfermant les ouïghours dans les camps, le gouvernement chinois compte bien effacer leurs différences et leur faire adopter l’idéologie du parti.

En outre, perdre le contrôle sur la région du Xinjiang est impensable du point de vue économique pour la Chine. Cette région a une superficie gigantesque et bénéficie de nombreux avantages. La région contient énormément de ressources naturelles : pétrole, gaz, charbon, uranium, minerais… Autant dire que toutes ses ressources sont indispensables à l’économie chinoise et à son développement.

La région a aussi une position géostratégique très intéressante puisqu’elle relie la Chine à d’autres pays comme par exemple le Kazakhstan ou le Pakistan. La région est une voie de passage importante pour relier les pays et faire du commerce.

La région du Xinjiang est au cœur du projet OBOR de la Chine. Ce projet tu en as peut-être entendu parler sous le nom de “nouvelles routes de la soie”. Ces routes devraient permettre à la Chine d’atteindre plus rapidement l’Europe et donc d’augmenter son commerce avec le continent. La Chine avait donc besoin de restructurer la région pour permettre le développement de ces nouveaux chemins.

Mais ces raisons ne sont pas les seules qui ont poussé la Chine à enfermer les ouïghours dans des camps. La Chine, en les enfermant, prétend lutter contre la radicalisation et le séparatisme. Dans la région, il y a eu de nombreuses manifestations contre le pouvoir en place. La manifestation la plus marquante est celle du 5 juillet 2009 qui a coûté la vie à plusieurs personnes et fait des dizaines de blessés.

Il y a également eu des soulèvements de la population dans le Xinjiang à cause des discriminations dont les ouïghours s’estiment victimes. Pour l’État chinois, enfermer les ouïghours dans les camps permet donc de conserver le calme et la mainmise sur la région.

Mais ce qui marque un tournant de la politique chinoise dans la région, ce sont les attentats de 2013. Entre 2013 et 2014 il y a eu une vague d’attentats attribués à des ouïghours radicalisés dans la région du Xinjiang. Ces attentats ont profondément choqué la population et ont montré la faiblesse du régime communiste. Le pouvoir va décider d’agir et de durcir sa politique en créant des camps pour lutter contre la radicalisation. Seulement, les personnes enfermées n’ont bien souvent montré aucun signe de radicalisation.

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Quelles sont les conditions de vie des ouïghours dans ces camps ?

Comme je te l’ai déjà dit plus haut, il existe près de 380 camps en Chine et près de 3 millions de ouïghours y sont enfermés. Dans ces camps, selon les enquêtes de certaines ONG et des témoignages d’anciens ouïghours enfermés, les conditions de vie sont très difficiles.

L’arrestation des ouïghours

Je vais commencer par énumérer toutes les raisons (ou presque toutes) pour lesquelles un ouïghour peut se retrouver enfermer dans un camp :

• Ne pas savoir parler le mandarin
• Porter le voile ou une barbe longue
• Avoir un Coran ou des photos de prières sur son téléphone
• Avoir des proches qui ont visité un pays étranger récemment
• Ne pas boire d’alcool, fumer ou ne pas manger de porc
• Aller à la mosquée un autre jour que le vendredi

Comme tu peux le voir, les raisons pour lesquelles les ouïghours sont enfermés sont nombreuses et correspondent à une pratique normale de la religion musulmane. En effet, la religion musulmane interdit par exemple de manger du porc ou de fumer. Ainsi, rien que le fait de pratiquer sa religion peut envoyer un ouïghour dans un camp.

La région est également étroitement surveillée par le gouvernement. Pour cela, le gouvernement a mis en place une série de dispositifs.

• La Xinjiang est la région chinoise où se trouvent le plus de caméras. Ces caméras utilisent la reconnaissance faciale et collectent des données sur les habitants. Ces données sont transmises en direct au gouvernement.
• Les contrôles de police sont très réguliers et il y a des postes de police partout. Les policiers peuvent dans ces postes vérifier le contenu des téléphones de la population. S’ils trouvent quelque chose d’anormal, ils peuvent arrêter le détenteur du téléphone.
• Des agents publics sont envoyés dans les familles ouïghours. Ils se font passer pour des oncles ou des tantes éloignés et inspectent l’appartement ou la maison, ils posent des questions aux enfants… Ces agents restent plusieurs jours et font ensuite un rapport aux autorités.
• De plus en plus de Hans (population majoritaire en Chine) s’installent dans la région. Cela a pour effet de minimiser encore plus la présence des ouïghours et des autres minorités dans la région.

A travers tous ces dispositifs, le gouvernement chinois cherche à débusquer les ouïghours « radicaux » pour les envoyer dans des camps. La population est surveillée en permanence et c’est très difficile de cacher la moindre chose à l’Etat.

Les conditions de détention

Une fois qu’une personne est arrêtée, il n’y a aucune procédure judiciaire. C’est direction les camps, sans même avoir le temps de dire au revoir à sa famille ! Les ouïghours sont ensuite entassés dans de petites pièces sans même une fenêtre. Une femme autrefois enfermée a raconté qu’elle était enfermée avec 40 autres femmes dans une pièce de 20 mètres carrés. Il n’y avait donc même pas assez de place pour que tout le monde puisse s’allonger.

Les détenus subissent aussi un lavage de cerveau intensif. Tous les jours, ils se lèvent à l’aube pour chanter l’hymne chinois sous le drapeau. Ensuite, toute la journée, ils étudient l’histoire du régime communiste et chantent sa gloire. Ils sont étroitement surveillés par des soldats.

Ils font également des tests et des cours sur les « dangers de l’islam» et leurs résultats sont scrutés. Si les détenus ne répondent pas correctement aux tests ou bien s’ils refusent de se soumettre aux cours quotidiens ils sont sévèrement punis. Ces punitions sont nombreuses : privation de repas, obligation de manger du porc ou de boire de l’alcool…

Mais même pour les détenus les plus obéissants les conditions de vie restent très dures. Les repas sont maigres. Il n’y a pas de lits pour tous. Les douches sont rares.

Le gouvernement cherche aussi à contrôler les naissances dans la communauté et à les limiter. Certaines femmes détenues dans les camps racontent avoir subi des injections qui avaient pour effet d’arrêter leurs règles. D’autres femmes qui avaient reçu une « visite médicale gratuite et obligatoire » ont subi la pose forcée d’un stérilet. Moyen de contraception dont elles ne voulaient pas. Les naissances ont chuté dans la région du Xinjiang.

Dans ces camps, qui ressemblent à de véritables prisons avec des gardiens et des murs élevés de 5 ou 6 mètres, le gouvernement chinois fait subir un véritable lavage de cerveau aux ouïghours. Ils sont brisés mentalement et physiquement pour leur faire adopter le régime communiste.

Qu’en est-il des ouïghours exploités dans des usines ?

Certains ouïghours ne sont pas enfermés dans des camps mais ils sont envoyés partout en Chine dans des usines où ils sont exploités et où leurs conditions de vie restent proches de celles en camp. Selon l’Institut Australien de Géopolitique, près de 80 000 ouïghours auraient été forcés à travailler dans ces usines entre 2017 et 2019.

Les ouïghours envoyés dans des usines sont soit transférés directement depuis les camps soit ce sont d’anciens détenus qui sont ressortis. Quand se sont d’anciens détenus, ils sont menacés d’être renvoyés dans les camps s’ils n’acceptent pas le job.

La vie dans ces usines ressemble beaucoup à celle dans les camps. En effet, ils sont surveillés en permanence à l’usine et dès qu’ils sortent de l’usine ils ont des cours sur le communisme et sur l’histoire de la Chine. Parfois, les ouïghours sont moins bien rémunérés que leurs compatriotes.

27 usines utiliseraient de la main-d’œuvre ouïghour. Ces usines travaillent pour 82 marques mondiales dont par exemple Nike, Apple, Samsung, Victoria’s Secret, Zara, Toshiba, Volkswagen… Certaines de ces marques ont réagi et ont arrêté de collaborer avec les usines en question tandis que d’autres continuent aujourd’hui à travailler avec celles-ci.

Qu’en est-il de la légalité de ces camps ?

Depuis 2018, la Chine reconnaît légalement ces camps. Elle les présente comme des « camps de transformation par l’éducation » dans lesquels on apprend à parler et à écrire le mandarin. La Chine a fait une forte propagande autour de ces camps, notamment à la télévision. Elle les présente comme des lieux où les conditions de vie sont excellentes et les témoins remercient tous le régime de les avoir « sauvés ».La réalité est bien plus sombre.

Shawn Zang, étudiant à Vancouver au Canada, était l’un des premiers à découvrir et prouver l’existence de camps dans la région du Xinjiang. Il a découvert ces camps en étudiant des documents officiels chinois disponibles sur internet. Ainsi, même les documents officiels sont en contradiction directe avec la propagande du gouvernement.

Certains fonctionnaires chinois dénoncent les actes du gouvernement en rendant publics certains documents prouvant les conditions de vie horribles dans ces camps. En 2017, 12 000 enquêtes visaient des fonctionnaires ayant révélé la vérité sur les camps. Ces fonctionnaires sont poursuivis et le gouvernement fait en sorte qu’ils gardent le silence.

Les journalistes n’ont pas le droit de s’approcher trop près des camps. Des journalistes d’ARTE partis faire un reportage racontent avoir été suivis tout au long de leur voyage, empêchés de filmer. Ils ont même été arrêtés par la police et ont subi un long interrogatoire. La Chine veut donc empêcher la presse étrangère et les ONG de dévoiler la vérité sur ces camps.

Il est très important de rappeler que ces camps vont formellement à l’encontre des lois et des droits internationaux. De plus, la Constitution chinoise interdit également ce traitement injuste et discriminatoire d’une population. La Chine agit donc en toute illégalité. Tout le monde le sait, les preuves sont accablantes mais il n’y a pas de réelle sanction internationale. Pourquoi ?

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Pourquoi il n’y a pas de réactions internationales ?

Comme je viens de te l’expliquer, il y a de nombreuses preuves et témoignages qui prouvent que la Chine ne respecte pas les droits internationaux. Pourtant, personne ne semble réagir et pire les actions de la Chine sont passées sous silence.

Seuls trois pays ont dénoncé publiquement les agissements de la Chine contre les ouïghours. Ces trois pays sont les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie. Les relations diplomatiques entre ces pays et la Chine sont déjà tendues depuis assez longtemps et il n’est donc pas étonnant qu’ils aient dénoncé les actes du pays.

D’autres pays ont quant à eux annoncé leur soutien total à la Chine dans sa lutte contre la radicalisation. C’est notamment le cas de la Russie, de la Corée du Nord, de l’Arabie Saoudite, des Philippines, de l’Algérie… Tous ces pays refusent de brouiller avec la Chine car ils ont beaucoup de liens économiques avec le pays.

Ce silence et ce manque de réaction s’explique par la puissance de la Chine. Personne ne veut se mettre à dos une puissance démographique et économique aussi importante. Mais même si les gouvernements ne veulent pas agir, toi tu peux agir.

En effet, chacun peut agir à son échelle. Alors voilà quelques idées d’actions qui pourraient faire la différence :

• Signer des pétitions. Si une grande partie de la population réclame une action forte contre la Chine, les gouvernements devront agir.
• Partager l’information autour de toi. Beaucoup de gens ne sont même pas encore au courant de ce qu’il se passe en Chine.
• Demander à ton maire de signer la charte de solidarité des maires. S’ils sont suffisamment nombreux à la signer, le gouvernement réagira peut-être.
• Boycotter certaines marques qui ont recours au travail forcé des ouïghours. Tu peux aussi leur envoyer un message pour leur demander des explications.

Même si à ton échelle tu as l’impression de ne rien pouvoir faire, de ne pas pouvoir agir, tu as en réalité bien plus de pouvoir que ce que tu penses. Alors c’est entre tes mains !

Conclusion :

La situation en Chine est grave. Les usines sont bâties ou agrandies à vitesse grand V et la situation ne fait qu’empirer. C’est à nous tous, en tant que citoyens, de réfléchir à ce que nous pouvons faire pour que la situation s’arrange. J’espère que cet article t’a aidé à mieux comprendre la situation et qu’il t’a motivé à agir !