As-tu déjà essayé d’écrire un texte sans la lettre « e » ? C’est dur, hein ? Georges Perec, lui, l’a fait ! Son œuvre, majoritairement publiée posthume, connaît une grande popularité. Si tu souhaites faire partie de son fan club, si tu as envie d’apprendre son style littéraire sous contrainte, cette fiche de cours est faite pour toi ! Tu es prêt ? C’est parti ! 🚀
Sa biographie en bref : écrire pour vivre
On préfère te prévenir… L’enfance de Georges Perec, hantée par la Seconde Guerre mondiale, n’est pas heureuse (et c’est un euphémisme…). Cependant, il sait depuis toujours qu’il deviendra écrivain, comme pour revenir à la vie, retrouver une partie de sa vie que l’histoire lui a volée.
J’écris parce qu’ils ont laissé en moi leur marque indélébile et que la trace en est l’écriture, leur souvenir est mort à l’écriture. L’écriture est le souvenir de leur mort et l’affirmation de ma vie.
Georges Perec
« W ou le souvenir d’enfance »
Quelques dates clés à retenir 📅
1936 | Naissance de George Perec à Paris 🍼 |
1940 | Mort de Icek Perec, son père, sur le champ de bataille ⚰️ |
1941 | George Perec est envoyé en zone libre, dans le Vercors 🌳 |
1943 | Mort de Cyrla Szulewicz, sa mère, déportée à Auschwitz ⚰️ |
1960 | Mariage de George avec Paulette Pétras 💒 |
1962 | Perec devient documentaliste au CNRS 🏫 |
1965 | Premier roman publié, Les Choses 🪶 |
1967 | Entre dans le groupe de l’Oulipo ✍️ |
1978 | Quitte son emploi au CNRS pour vivre de sa plume 🪶 |
1982 | Mort de George Perec d’un cancer du poumon ⚰️ |
Le contexte historique 🪖
Les parents de Georges Perec sont des émigrés juifs polonais, habitant à Paris. Son père s’est engagé dans l’armée française comme volontaire, et meurt en 1940, un peu avant l’Armistice, marquant la défaite de la France. Sa mère est déportée en 1943 et est sûrement décédée dans le camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz, mais il n’y a aucun moyen de le savoir.
Le petit Georges sera élevé par ses oncle et tante maternels, Esther et David Bienenfeld, d’abord dans le sud de la France, puis à Paris, où il fera sa scolarité et vivra.
Je ne sais précisément ce que c’est qu’être juif. Ce que ça me fait que d’être juif.
Georges Perec
« Ellis Island », 1980
👉 La vie et l’œuvre de l’écrivain sont profondément marquées par cette absence et ce silence concernant son passé.
💡Le savais-tu ?
La Rafle du « Vel’ d’Hiv » (Vélodrome d’Hiver) est la plus grande arrestation de juifs en France, en 1942. Près de 13000 personnes sont arrêtées, enfermées dans le vélodrome, puis déportées et exterminées à Auschwitz.
De plus, la culture judaïque ne lui a pas été transmise. Comme le dit Claude Burgelin, « Perec, enfant de l’après (après la Pologne, après les shtetels et les Pogroms, après Auschwitz), est juif de ne l’être pas. De n’avoir pu l’être. »
Georges Perec ressent donc un vide concernant son passé et sa famille, qu’il compare à un vol de son identité. Il a souhaité combler et comprendre cette disparition dès son plus jeune âge.
- Dès l’âge de 8 ans, il souhaite devenir écrivain.
- En 1949, il entame une psychothérapie avec Françoise Dolto. Il en fera deux autres au cours de sa vie.
Écrire pour combler l’absence ✍️
Comme tu le vois, l’écrivain n’a vécu que 46 ans, pourtant il a laissé un nombre d’œuvres assez conséquent !
👉 Un lien intrinsèque unit son style et la disparition de ses parents. G. Perec l’évoque particulièrement W ou le Souvenir d’enfance (1975), qui alterne autobiographie et fiction.
Cette oeuvre part de deux disparitions :
-
la tombe de son père qu’il ira voir en 1956 ;
-
la disparition définitive de sa mère.
Je n’ai pas de souvenirs d’enfance.
Georges Perec
première phrase de « W ou le Souvenir d’enfance »
👉 Dans W, l’écrivain cherche à retrouver ses souvenirs qu’il n’a pas, avec méthode et rigueur, tout comme le ferait un enquêteur. Il reconstitue son enfance, morceaux par morceaux. La fiction est là pour combler les trous de sa mémoire.
À lire aussi
👂 Si tu veux certains extraits des travaux de G. Perec, notamment à propos de son enfance, n’hésite pas à écouter les podcasts de France Inter !
Dans Penser/Classer (1985), G. Perec définit les quatre éléments essentiels que l’on retrouve dans chacun de ses livres :
-
la sociologie (l’étude du quotidien),
-
l’autobiographie,
-
le jeu (écrire en suivant des règles contraignantes),
-
le romanesque.
👉 Des éléments autobiographiques sont disséminés dans tous les travaux de Georges Perec, comme une sorte de jeu de piste, que ce soit dans les romans, les essais, ou encore la poésie.
Son style : la littérature sous contrainte 🔏
Georges Perec aime s’imposer des contraintes d’écriture pour libérer sa créativité, car il affirme n’avoir aucune imagination ! 👀
Avant l’Oulipo
✍️ Entre 1957 et 1961, Perec travaille sur plusieurs récits et autres projets, ce qui lui permet d’affiner progressivement sa conception de la littérature et de l’écriture, même s’il ne rencontre pas de succès. En voici quelques-uns :
– une revue littéraire intitulée La Ligne générale (le projet n’aboutira jamais) ;
– le roman L’ Attentat de Sarajevo (qui raconte son voyage en Yougoslavie et refusé à la publication) ;
– le roman Le Condottière (refusé à la publication) ;
– des articles et notes dans des revues littéraires.
✍️ En 1965, notre Georges a dû faire une petite danse de la victoire car son roman, Les Choses, sous-titré Une histoire des années soixante, est publié (Gallimard) et le succès arrive enfin puisqu’il a obtenu le prix Renaudot !
Il y a, je pense, entre les choses du monde moderne et le bonheur un rapport obligé.
Georges Perec
« Les Choses »
⏩ Résumé en bref
Jérôme et Sylvie habitent Paris dans les années soixante. Leur vie est conditionnée par l’envie constante d’acheter. Éternels insatisfaits et impatients, ils rêvent d’acquérir d’innombrables objets sans pourtant jamais y parvenir, du fait de leurs revenus modestes et cette frustration les rend malheureux.
L’auteur propose là une analyse sociologique critique de la société de consommation.
À lire aussi
On te conseille d’écouter et de regarder l’auteur parler des Choses lui-même, sur le site de l’INA.
✍️ D’autres ouvrages suivront ensuite… Jusqu’à ce que Perec intègre l’Oulipo en 1967, groupe au sein duquel il peut explorer toutes les potentialités de la langue et proposer un style à la fois innovant et déconcertant.
L’Oulipo : la contrainte littéraire est un jeu 🧪🖊️
Qu’est-ce que l’Oulipo ? 👀
L’Ouvroir de LIttérature POtentielle (désigné par son acronyme « Oulipo ») est un groupe de recherche en littérature expérimentale, comme une sorte de laboratoire, fondé en 1960 par le poète Raymond Queneau et François Le Lionnais, un mathématicien. Pour ces « scientifiques de la langue », la contrainte stylistique et syntaxique dans l’écriture permet la création de nouvelles compositions, d’explorer toutes les potentialités du langage et de créer des textes innovants.
À lire aussi
Si tu souhaites connaître d’autres courants littéraires du XXe siècle, n’hésite pas jeter un œil (voire les deux !) à l’article des Sherpas !
👉 Avec l’Oulipo, travailler le matériau du langage devient un jeu. Ces techniciens du langage s’écartent volontiers des usages habituels de la langue et proposent des formes et procédés insolites et ludiques.
Par le jeu, ils proposent une réflexion profonde sur les mots et leurs significations. Il s’agit de révéler une manière de comprendre la langue, mais aussi le monde.
Perec s’est intéressé à de nombreux exercices de style oulipiens. Plus le mot, notre Georges travaille sur la lettre pour élaborer son propre style, notamment avec ces procédés contraignants qui mêlent orthographe et mathématiques :
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les hétérogrammes (chaque phrase comporte au moins chaque lettre de l’alphabet),
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les anagrammes (mots formés en changeant de place les lettres d’autres mots),
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les palindromes (mot ou groupe de mots qui peut se lire indifféremment de gauche à droite ou de droite à gauche en gardant le même sens),
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les lipogrammes (textes où l’on se passe d’une ou plusieurs lettres),
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les monovocalismes (textes que l’on écrit avec une seule voyelle),
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la liste de lieux (dans Espèces d’espaces, l’auteur fait un véritable travail typographique de la page),
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les figures de style comme l’énumération et l’accumulation,
-
les puzzles.
L’importance de La Disparition 👀
La Disparition est un grand lipogramme (trois cents pages quand même !), dans lequel la voyelle « e » est absente. Cette prouesse souligne un élément autobiographique essentiel. Sans « e », impossible de dire « je », impossible de trouver une identité. La langue est privée de sa lettre la plus utilisée, tout comme Perec est privé de son enfance, de son passé.
On a très envie de te montrer un exemple, parce qu’on a bien ri en le découvrant :
« Variations sur un thème de Marcel Proust », 35 variations, 1974
« Longtemps je me suis couché de bonne heure. »
Lipogrammes
[…]
Sans le I :
« Longtemps nous nous couchâmes de bonne heure. »
Sans le E :
« Durant un grand laps on m’alitât tôt. »
Point de vue maternel :
« Marcel, au lit !!! »
[…]
Synonymie :
« Pendant plusieurs années j’allai au lit tôt. »
Hétérosyntaxisme :
« De nombreuses années me connurent couche-tôt. »
Alexandrin :
« Fort longtemps je me suis / couché de très bonne heure. »
Interrogation :
« Me serais-je longtemps couché de bonne heure ? »
Pour aller plus loin 🦸
Harry Mathews a adapté cet exercice en anglais sur la question ô combien célèbre d’Hamlet de Shakespeare : « To be or not to be, that is the question ».
À lire aussi
Tu peux lire Exercices de style de Raymond Queneau, paru en 1947 chez Gallimard.
😁 Fun fact
Sais-tu que Perec était verbicruciste ? Il inventait des mots croisés ! On ne sait pas, en revanche, s’il était aussi cruciverbiste (nom de métier de celui qui fait les mots croisés).
À lire aussi
👉 Si toi aussi tu veux écrire pour t’amuser, voici une liste des principales contraintes oulipiennes.
Sa grande postérité : hommage à Perec 🏆
Toute la production littéraire inventive de Perec influence considérablement les générations suivantes, grâce à ses observations sociologiques de son époque, sa conception de l’écriture, mais surtout par sa capacité à manier la langue.
À lire aussi
📺 Georges Perec, l’homme qui ne voulait pas oublier est un film de Pierre Lane, diffusé sur France 5 en 2021.
👉 En 1982, L’Association Georges Perec est créée afin de promouvoir l’étude de cet écrivain, considéré désormais comme un « classique « de la littérature française. Elle publie deux fois l’an les Cahiers Georges Perec.
👉 Notre Georgy est une référence pour bon nombre de ses contemporains pour des raisons diverses : Annie Ernaux, Emmanuel Carrère, Marie Darrieussecq…
Georges Perec a aidé tous les travailleurs en publiant un livre intitulé L’Art et la manière d’aborder son chef de service pour lui demander une augmentation. Comment combiner l’utile à l’agréable !
À lire aussi
Écoute l’épisode « Artistes et écrivains dans le sillage de Georges Perec » sur France Culture à ce propos !
Quelques œuvres à connaître 📚
😅 Fun fact
En 1966, Georges Perec déménage. Il veut jeter de vieilles notes, conserver des manuscrits mais il s’emmêle les pinceaux. C’est ainsi qu’il perd le premier roman qu’il considère comme abouti, Le Condottière, dont une copie ne sera retrouvée qu’une dizaine d’années après sa mort. Le manuscrit, refusé par Maurice Nadeau aux éditions du Seuil en 1959, ne sera publié qu’en 2012.
Quelques ouvrages anthumes (avant sa mort)
Notre Georges est prolixe : il a beaucoup écrit et dans des genres très variés. Cette liste est donc loin d’être exhaustive !
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Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ?, 1966, éditions Denoël,
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La Disparition, 1969, éditions Denoël,
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L’Augmentation, pour la mise en scène de Marcel Cuvelier en février 1970,
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Espèces d’espaces, 1974, éditions Galilée,
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W ou le Souvenir d’enfance, 1975, éditions Denoël,
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Alphabets, 1976, éditions Galilée,
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La Vie mode d’emploi, 1978, éditions Hachette (prix Médicis),
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Récits d’Ellis Island, 1980, INA/Sorbier (+ un film de Robert Bober),
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Je me souviens. Les choses communes I, 1978, éditions Hachette.
Quelques œuvres posthumes
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Penser/Classer, 1985, éditions Hachette,
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53 jours, 1989 (texte établi par Harry Mathews et Jacques Roubaud), éditions Gallimard,
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Je suis né, Seuil, 1990 (texte établi par Éric Beaumatin, Marcel Bénabou et Philippe Lejeune),
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Perec/rinations, 1997, Cadeilhan, Zulma (édité par Bernard Magné),
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Le Condottière, 2012, Seuil (édité par Claude Burgelin),
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L’Attentat de Sarajevo, 2016, éditions du Seuil,
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Lieux, 2022, éditions du Seuil.
🥳 Georges Perec est entré dans la collection de la Pléiade chez Gallimard, en 2017.
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Récap’ : pourquoi étudier Perec ? 👀
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Une œuvre variée et hétéroclite (romans, poésie, mots croisés, jeux stylistiques, émissions de radio, etc.) ;
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une œuvre à la fois sociologique, ludique, romanesque et contraignante ;
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un style et une pensée totalement dépendants de la biographie de l’écrivain : les thèmes de l’absence, de l’abandon et de la perte de mémoire sont omniprésents ;
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une réflexion portée sur le langage avec l’utilisation d’une écriture contraignante (ce courant stylistique et littéraire permet d’explorer toutes les potentialités de la langue, de façon ludique) ;
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la grande influence de l’auteur sur les articles de la fin du XXe siècle et le début du XXIe siècle.
Voilà, maintenant tu sais tout sur Georges Perec, cet auteur du XXe siècle ! Si cette fiche de cours t’a plu, n’hésite pas à laisser un commentaire. Et si tu souhaites améliorer tes notes en français ou en littérature, n’oublie pas que les Sherpas sont là pour te soutenir !
Images mises en avant :
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