Rien n’a jamais été photographié qui illustre aussi bien cette période (…) En mon temps, il y eut des êtres d’exception. J’ai eu le privilège d’en connaître quelques-uns et vous êtes assurément un de ces géants.
John Steinbeck
lettre à Dorothea Lange (03 juillet 1965)
Dorothea Lange (1895-1965) a marqué l’histoire de la photographie américaine par ses travaux engagés durant la Grande Dépression et la Seconde Guerre mondiale. Tu ne la connais pas ? Raison de plus pour découvrir ici sa vie et son œuvre ! Voyons tout cela en détail… 🔍
Jeunesse et débuts de carrière
Dorothea Lange, de son vrai nom Dorothea Margaretta Nutzhorn, naît le 26 mai 1895 dans le New Jersey. Elle est la fille d’immigrés allemands de deuxième génération. 🇩🇪🇺🇸
Au cours de son enfance, deux événements traumatisants vont façonner sa personne :
- Elle contracte la poliomyélite en 1902, ce qui l’amènera à boiter pour le reste de sa vie ;
- Son père abandonne elle et sa famille en 1907, alors que Dorothea n’a que 12 ans.
Plus tard, elle étudie la photographie à l’université, notamment auprès du photographe Clarence Hudson White. Après un début de carrière à New York, elle part à San Francisco et ouvre son propre studio en 1918 ; pendant une quinzaine d’années, Lange se consacre uniquement au portrait en studio. 📸
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La Grande Dépression : représenter la pauvreté des Américains
1932-1933 : le grand tournant dans sa carrière de photographe
Une transition dans sa carrière se produit entre 1932 et 1934, alors que les conséquences de la Grande Dépression se font de plus en plus ressentir : la pauvreté et la misère arrivent à leur apogée, en ville comme à la campagne.
La Grande Dépression 📉
Le 24 octobre 1929, une bulle spéculative éclate à Wall Street : on assiste à un krach boursier. Cet événement marque le début de la Grande Dépression, une longue crise économique qui frappe les États-Unis, puis le reste du monde durant les années 1930 et le début des années 1940.
Aux États-Unis, on assiste rapidement à un chômage de masse : au début des années 1930, plus d’un quart de la population active américaine se retrouve sans emploi.
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Ce bouleversement dans la société américaine l’amène à changer son lieu de travail, qu’elle juge inapproprié étant donné le contexte socio-économique. 😥
J’ai réalisé que je photographiais les seules personnes qui m’ont payée pour cela, cela m’a dérangé. Alors j’ai fermé ce lieu, et démonté ma chambre noire.
Dorothea quitte son studio, et descend dans les rues de San Francisco. Elle commence à photographier les plus démunis (chômeurs et sans-abris), ceux que la crise économique a frappés. Elle prend alors conscience que la condition humaine a une place importante dans le travail qu’elle entreprend.
Dorothea Lange capture la vie de tous les jours. Son travail permet d’alerter la population et les autorités de la situation. Touchée par la misère dont elle est témoin, sans voyeurisme, elle prend en photo les chômeurs et les sans-abris dans les rues : manifestations, files d’attente pour la soupe populaire… Sa photographie « White Angel Breadline » en est l’exemple le plus marquant.
Son documentaire pour la Farm Security Administration (FSA)
Ses photographies saisissantes attirent le regard de la Resettlement Administration (RA), devenue en 1937 la Farm Security Administration (« Administration de la Sécurisation des Fermiers »). Cet organisme américain, mis en place dans le cadre du New Deal, visait à aider les fermiers les plus pauvres. 👨🌾
Le New Deal 📈
Le New Deal (« Nouvelle donne ») est un ensemble de programmes politiques et économiques de l’État fédéral, sous Roosevelt, ayant pour objectif de faire sortir les Américains de la crise en relançant l’économie du pays.
Nous sommes en 1935. Dorothea Lange devient une photographe officielle de la FSA : elle se met à collaborer avec son (second) mari, l’économiste Paul Schuster Taylor, qui travaille également pour l’organisme (c’est lui qui la recrute pour le projet !). Ensemble, ils arpentent une vingtaine d’États américains, et ce pendant plus de cinq ans. Leur mission ? Documenter la pauvreté rurale existante chez les migrants, afin de légitimer le New Deal. ✅
La sécheresse de 1934 dans les plaines du sud des États-Unis (le fameux Dust Bowl) et la Grande Dépression amènent les fermiers démunis à migrer vers les fermes de Californie pour trouver un travail et de meilleures conditions de vie. Et ce sont ces gens-là que Lange photographie.
L’idée est d’avoir un bilan objectif des conditions de vie des Américains en exode. Pour cela, on la considère encore aujourd’hui comme l’une des pionnières du documentaire social.
Elle répond à des commandes ; le commanditaire se charge ensuite de faire circuler les clichés auprès de la presse. Et il faut l’avouer, les archives visuelles ont le pouvoir de changer les choses ! Lange est convaincue que la photographie est un outil pour aider les gens : par ces photos, le peuple américain vivant dans la précarité pourrait obtenir du soutien, des choses nécessaires à leur (sur)vie (comme des logements décents). 🏠
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L’originalité de son style
L’appareil photo est un instrument qui apprend aux gens à voir sans appareil photo.
Dorothea Lange prend souvent ses photos assez proches de ses sujets ; les traits du visage sont montrés en détail. Gestes, postures, mouvements… Les situations semblent tellement spontanées qu’on oublierait presque qu’il s’agit d’une photo ! 🙈
Lorsqu’elle rencontre des gens qu’elle aimerait photographier, Lange n’hésite pas à s’approcher progressivement et à discuter avec eux pour les mettre à l’aise. 💬
Ce qui fait surtout la force (et l’originalité) de Dorothea Lange, c’est bien les longues légendes qui contextualisent ses clichés. Il peut lui arriver de citer les propos des personnes photographiées, des citations d’écrivains ou de journalistes, ses propres mots… Tout pour donner les clés en main à celui qui voit l’image ! Son travail est bien complet : texte et image permettent de dépeindre pleinement le contexte socio-économique de l’époque afin de sensibiliser au mieux la population. 📢
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Migrant Mother : son célèbre cliché
Comment parler de Dorothea Lange sans mentionner une seule fois « Migrant Mother » (ou « Mère migrante » en français), son cliché pris en 1936 et aujourd’hui symbole de la Grande Dépression (oui, oui !).
C’est d’ailleurs grâce à ce portrait qu’elle gagne sérieusement en notoriété, bien qu’elle juge sa nouvelle célébrité comme agaçante… 😕
D’après Dorothea Lange (elle aurait plusieurs fois modifié son récit…), l’histoire de cette photographie est la suivante : en fin de journée, alors qu’elle revient d’une mission visant à photographier des travailleurs, Lange découvre sur le chemin du retour un camp de ramasseurs de petits pois près de Nipomo (Californie). Sur la route, elle voit au loin une voiture abandonnée, avec une femme au regard préoccupé. Celle-ci allaite un bébé, et trois autres enfants sont présents à ses côtés.
Après maintes réflexions, Lange descend de sa voiture, s’approche et se présente officiellement. Elle propose une aide (refusée) et demande à pouvoir faire quelques prises de vues. La femme accepte. 👍
Florence Owens Thompson, la femme photographiée, est une mère de sept enfants et est originaire de l’Oklahoma. D’après les témoignages, elle aurait 32 ans lorsque la photo est prise. Dorothea Lange tire quelques portraits d’elle (celui du dessus étant le plus célèbre). On y voit Florence Owens Thompson dans sa tente, avec deux de ses enfants blottis contre elle, et un nourrisson sur ses genoux. 🤱
La photographie est diffusée dans différents journaux et revues ; Florence Owens Thompson incarne à elle seule l’ensemble des migrants ayant été forcés de quitter leurs terres pour l’ouest des États-Unis. La dureté de son regard illustre bien les difficultés et souffrances de l’époque. 😣
Et les Thompson, ils en pensent quoi ? 🧐
Difficile à dire ! Pendant longtemps, la famille Thompson n’a pas apprécié du tout la popularité de cette photographie. Selon eux, Dorothea Lange aurait déformé certains détails. En plus, la représentation de Florence Owens Thompson est jugée humiliante, car elle la réduit à une pauvre mère sur un bord de route… 👎
Bien que cette célébrité n’ait pas été voulue par les Thompson, la renommée de la photographie a presque sauvé la vie à Florence ! Dans les années 1980, alors que celle-ci tombe malade, ses enfants organisent une collecte d’argent pour payer ses frais médicaux. Des milliers de dollars sont rassemblés. Malheureusement, elle meurt peu de temps après… 😢
WW2 : son reportage sur les camps d’internement de Japonais
Connue principalement pour ses travaux durant la Grande Dépression, Dorothea Lange s’est aussi démarquée par ses photographies durant la Seconde Guerre mondiale, au sein des camps d’internement des Nippo-Américains aux États-Unis. 🇯🇵🇺🇸
Les camps d’internement des Nippo-Américains
Le 7 décembre 1941, l’armée japonaise attaque par surprise la base militaire américaine de Pearl Harbour. Le sentiment anti-japonais s’intensifie sur le territoire américain : en quelques jours, le FBI arrête de manière arbitraire plus de 1000 personnes de la communauté nippo-américaine. Pour eux, ils ont « le visage de l’ennemi » et sont soupçonnés d’être des « traîtres ».
À partir de février 1942, suite au décret présidentiel 9066 promulgué par Roosevelt, près de 120 000 Nippo-Américains (hommes, femmes, enfants, avec ou sans la nationalité américaine) sont envoyés de force dans une dizaine de camps d’internement (considérés comme des « centres de réinstallation ») disséminés dans le pays. Certains resteront derrière les barbelés pendant un à trois ans, jusqu’à la fin de la guerre.
Ainsi, Lange doit réaliser des reportages sur le processus des camps d’internement ; embauchée par la War Relocation Authority (WRA), elle est chargée de montrer que les Nippo-Américains sont traités avec humanité. Mais la réalité est tout autre. Un décalage se crée entre ce que souhaitent montrer les autorités et ce que souhaite photographier Lange. Et ça, Dorothea Lange n’apprécie pas ! 😠
Elle se distingue une nouvelle fois en ayant un regard humain et plein d’empathie envers ces prisonniers. 😇 Elle les représente avec dignité. Évidemment, ça ne plaît pas aux autorités : l’administration Roosevelt censure le documentaire. 🙊 « Comment ça les Nippo-Américains sont en réalité des Américains « exemplaires » ? Ce n’est pas du tout ce que l’on cherche à prouver ! » Les photos confisquées ne seront publiées pour la première fois qu’en 2006…
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Hommages et postérité
Dorothea Lange décède des suites d’un cancer de l’œsophage le 11 octobre 1965 à San Francisco, trois mois avant sa rétrospective au MoMa (un célèbre musée d’art moderne et contemporain à New York). Cette grande rétrospective est dédiée à l’entièreté de sa carrière. 🤩
En France, l’exposition de 2018 au Jeu de Paume (lieu d’exposition d’art contemporain à Paris) présente son travail en traitant de l’engagement social et politique de la photographe. Un bel hommage ! 🇫🇷
Fun fact 🤩
L’un des cratères de Mercure a été nommé « Lange » en hommage à la photographe ! 💫
Voilà, maintenant tu en sais davantage sur Dorothea Lange, l’une des photographes américaines les plus importantes du XXe siècle. Qui sait ? Tu la retrouveras peut-être dans tes cours d’histoire ou de LLCE anglais au lycée ! Si tu as besoin d’aide dans ces disciplines, les Sherpas peuvent te donner un coup de main. 💙
