Et si devenir ingĂ©nieur nâĂ©tait plus le rĂȘve des Ă©tudiants en Ă©cole dâingĂ© dâaujourdâhui ? On a rencontrĂ© Arthur Gosset, bientĂŽt diplĂŽmĂ© de Centrale Nantes, pour nous expliquer pourquoi et comment la crise Ă©cologique bouscule le monde des Ă©coles dâingĂ©nieurs.
đ§ Pour son annĂ©e de cĂ©sure pendant sa formation dâingĂ©nieur, Arthur Gosset a dĂ©cidĂ© de prendre la camĂ©ra pour illustrer la prise de conscience Ă©cologique progressive des Ă©tudiants ingĂ©nieurs. Dans son documentaire-tĂ©moignage âRupturesâ, il suit pendant plus dâune heure 6 diplĂŽmĂ©s (et lui-mĂȘme) dans leur questionnement existentiel et leur combat pour trouver leur place dans la sociĂ©tĂ©.
đ„ Le documentaire âRupturesâ et son impact
Comment as-tu eu lâidĂ©e de faire ce documentaire ?
Arthur Gosset. LâidĂ©e vient dâune prise de conscience progressive que jâai pu avoir en mĂȘme temps que des collĂšgues de promo. Quand jâai intĂ©grĂ© Centrale Nantes, jâai fondĂ© lâassociation Together4Earth. On y faisait de lâĂ©cologie marginale en incitant aux Ă©cogestes. Faire le tri, câĂ©tait la base ! Pourtant, Ă lâĂ©poque, câĂ©tait trĂšs dur de mobiliser les Ă©tudiantsâŠ
Au contraire, en 2019, les Ă©tudiants considĂ©raient le ramassage des dĂ©chets comme une activitĂ© insuffisante. Pour eux, il fallait changer en profondeur les cursus scolaires. Quâest-ce quâil sâest passĂ© entre-temps ? En 2018, il y a eu la publication du âManifeste pour un rĂ©veil Ă©cologiqueâ pour lequel jâai participĂ©, puis le discours de ClĂ©ment Choisne Ă la remise des diplĂŽmes de Centrale Nantes qui invitait Ă questionner le modĂšle.
On a commencĂ© Ă se questionner notamment sur la finalitĂ© de nos Ă©tudes. Choses quâon ne faisait pas avant. Autrefois, on faisait des boulots reconnus socialement. On travaillait pour des grands groupes comme Total. CâĂ©tait valorisant. On avait un beau salaire et une belle voiture.
DĂ©sormais, ça ne fait plus autant rĂȘver car on se demande quel est notre impact positif sur le monde. Câest ce changement au sein des grandes Ă©coles que jâai voulu montrer Ă travers mon documentaire.
Est-ce quâil y aurait une autre raison un peu cachĂ©e derriĂšre tout ça ?
Arthur Gosset. Câest vrai ! En discutant avec dâautres rĂ©alisateurs, je me suis rendu compte quâil y avait quelque chose de plus profond : jâavais envie de faire ce film pour mes parents, pour leur parler autrement quâavec mes mots qui n’avaient pas forcĂ©ment dâimpact. Je voulais filmer dâautres jeunes et expliquer Ă nos parents quâon ne leur en veut pas mais quâon voudrait rĂ©tablir le dialogue.
Est-ce que ça a marché ?
Arthur Gosset. Oui, le film nous a beaucoup aidĂ©. Mes parents Ă©taient prĂ©sents Ă lâavant-premiĂšre en juin et ils ont fait un discours trĂšs Ă©mouvant pour me remercier. Ils ont vu que je nâĂ©tais pas le seul Ă vivre ces questionnements.
MĂȘme sâils ne me comprennent pas forcĂ©ment, ils me font confiance dĂ©sormais pour trouver un Ă©quilibre : ils respectent mes choix tant quâils sont en accord avec mes valeurs. Aujourdâhui, on arrive Ă communiquer. Câest une vraie rĂ©ussite !
Le documentaire a-t-il aussi changĂ© ton regard vis-Ă -vis dâeux ?
Arthur Gosset. Totalement ! Jâai grandi pendant le tournage. GrĂące aux tĂ©moignages dâautres amis qui sont passĂ©s par les mĂȘmes phases de rupture avec leur entourage, jâai compris que ce nâest pas en les critiquant et les pointant du doigt que jâallais faire changer les choses, ni leur faire comprendre ce que je ressens. A 25 ans, câest facile de tout remettre en question, mais pour eux, câest beaucoup plus compliquĂ©. Je le comprends dĂ©sormais et lâaccepte.
đ„” Les Ă©coles dâingĂ©nieurs face aux dĂ©fis climatiques
Comment a réagi ton école à la sortie du documentaire ?
Arthur Gosset. Au dĂ©part, les responsables ne savaient pas trop comment le prendre. Ils sâinquiĂ©taient de ce jeune qui parlait de leur Ă©cole dans les mĂ©dias. Il y a maintenant deux types de personnes :
- celles qui me soutiennent comme le directeur de lâĂ©cole qui souhaite diffuser le film sur le campus
- et celles qui sont un peu plus âold schoolâ et qui prĂŽnent des valeurs ancestrales de ce que doit ĂȘtre une Ă©cole dâingĂ©nieurs.
Ce qui est intĂ©ressant et qui peut faire bouger les lignes, câest que mon film nâest pas le seul Ă sortir sur le sujet. Plein dâautres choses vont venir alimenter le dĂ©bat des jeunes diplĂŽmĂ©s. Par exemple, la journaliste Marine Miller a Ă©tudiĂ© le phĂ©nomĂšne dans les Ă©coles dâingĂ©nieurs et sort un livre sur le sujet dĂ©but octobre.
Ce nâest pas un hasard si le directeur veut mâappeler : il est conscient quâil faut faire quelque chose sâil souhaite que son Ă©cole reste attractive.
Arthur Gosset
Réalisateur du documentaire « Ruptures »
Que reprochent les étudiants à leurs formations ?
Arthur Gosset. Ce quâon remet en cause surtout, ce sont les cours de tronc commun, notamment ceux en 1re annĂ©e. On nous apprend encore que la technologie va nous sauver en nous prĂ©sentant des technologies vieilles de 40 ans.
Alors que face aux enjeux Ă©normes dâaujourdâhui et de demain, on devrait nous montrer de nouvelles mĂ©thodes pour rĂ©duire notre impact sur la planĂšte. Ces techniques existent mais on ne nous les apprend pas dans les Ă©coles dâingĂ©nieurs traditionnelles, qui conservent toujours les mĂȘmes enseignements.
PrĂ©cisons que je nâai pas fait ce film pour ĂȘtre Ă charge contre lâĂ©cole. On est conscient que les Ă©coles dâingĂ©nieurs sont dâimmenses structures qui ont besoin de temps pour sâadapter. Seulement, leur modĂšle ne nous convient plus, Ă nous, la gĂ©nĂ©ration des jeunes diplĂŽmĂ©s. On souhaite trouver lâĂ©quilibre et le bonheur en dehors des sentiers battus, en rĂ©inventant notre place.
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âEn dehors des sentiers battusâŠâ. Tu veux dire quâĂȘtre jeune Ă©cologiste, câest ĂȘtre hors du systĂšme ?
Arthur Gosset. Dans un sens oui, puisquâon choisit de ne pas suivre le chemin tout tracĂ© qui nous Ă©tait promis : suivre une belle carriĂšre dans une grosse boĂźte. Je ne me considĂšre pas pour autant comme un marginal car nous sommes de plus en plus nombreux Ă faire ce choix.
Finalement, il faudrait redĂ©finir la notion de âbelle carriĂšreâ. Aujourdâhui, pour nous, ça ne signifie plus forcĂ©ment ĂȘtre portĂ© par la volontĂ© de reconnaissance sociale ou celle dâavoir de lâargent. On cherche Ă avoir un impact positif sur ce monde, que ce soit en bossant pour une grosse boite ou en fabriquant de la confiture artisanale dans son garage.
Quelle est la spécificité des étudiants ingénieurs dans la prise de conscience écologique ?
Arthur Gosset. Je pense quâen tant quâingĂ©nieurs, on se sent responsable de ce quâil se passe. On est formĂ© pour construire le monde dâaujourdâhui et de demain, pourtant ce monde part Ă la dĂ©rive. On a la responsabilitĂ© dâavoir un meilleur impact sur le monde.
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Comment peut-on agir face à ça ?
Arthur Gosset. La base, câest de se renseigner sur ce que nous dit la science. Quand tu commences Ă mettre un pied dedans, tu te rends compte quâil y a plein de choses qui ne vont pas. Les scientifiques nâarrĂȘtent pas de nous alerter et on ne fait rien. Sâinformer permet de ne plus ĂȘtre dans le dĂ©ni et dâĂȘtre conscient de ce quâil se passe, Ă sa hauteur.
On peut alors se demander oĂč on se sent le mieux pour ĂȘtre alignĂ© avec ses valeurs et avoir un impact positif. Ca peut ĂȘtre dans une grosse entreprise, en Ă©tant entrepreneur, en sâengageant en politique ou dans une association.
Peu importe oĂč vous choisissez dâintervenir, il nây a pas de meilleure solution. Ne pas se mettre de pression et changer les choses Ă son Ă©chelle, c’est dĂ©jĂ trĂšs bien !
Arthur Gosset
DiplÎmé de Centrale Nantes
Pour faire cette démarche, il faut déjà avoir eu un déclic écologique. Quel a été le tien ? Et comment activer celui des autres ?
Arthur Gosset. Pour moi, ça a commencĂ© en prĂ©pa quand jâai vu le documentaire âConspiracyâ. A lâĂ©poque, je faisais confiance aux politiques et industriels alors quâils nous cachent plein de choses. Ătant en prĂ©pa, je nâavais pas trop le temps de me poser des questions et me contentait des Ă©co-gestes.
Le vrai dĂ©clic est quand on passe de lâĂ©cologie marginale Ă une Ă©cologie plus systĂ©mique. Ce dĂ©clic plus profond, il mâest apparu au fil du temps en parlant avec les collĂšgues de promo, en lisant des interviews, en se posant des questions sur notre place et notre rĂŽle. Câest un processus qui est long.
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Est-ce que vous parlez de politique entre vous ?
Arthur Gosset. Oui et je pense que câest quelque chose dâassez nouveau en Ă©cole dâingĂ©nieurs car avant on ne demandait pas aux ingĂ©nieurs dâavoir un point de vue politique. Ils ne seraient jamais allĂ©s manifester lors dâune marche pour le climat. Par contre, on est trĂšs déçus car il y a beaucoup de promesses non tenues. Câest le cas de la Convention Citoyenne pour le Climat. On a lâimpression que les choses ne font que se rĂ©pĂ©ter. Il y a 30 ans, Jacques Chirac disait gravement : âNotre maison brĂ»leâ. Quâest-ce quâon a fait depuis ? Rien !
Tu serais prĂȘt Ă tâengager en politique pour porter tes idĂ©es ?
Arthur Gosset. Beaucoup dâĂ©tudiants le font car câest un Ă©norme levier. Il faut mettre en place des lois urgemment pour arrĂȘter de pointer du doigt le pauvre consommateur et contraindre les grandes entreprises Ă baisser leur empreinte carbone. Personnellement, je nâai pas lâĂ©nergie pour y aller.
Enfin, ton documentaire s’appelant âRupturesâ, avec quoi aimerais-tu rompre ?
Arthur Gosset. Avec la critique. On est toujours dans lâopposition, mĂȘme au sein du mouvement Ă©cologiste : on est soit trop engagĂ©, soit pas assez, soit trop radical, soit pas du toutâŠ
On ne peut pas rester au stade de la rupture, sinon on ne changera rien. Câest hyper important de trouver son Ă©quilibre et de rĂ©tablir la conversation avec les autres de façon bienveillante, sans ĂȘtre dans le jugement.
Si seulement tout le monde pouvait vivre en accord avec ses convictions (sans ĂȘtre dans le dĂ©ni), ce serait formidable !
Arthur Gosset
Auteur du documentaire « Ruptures »
đș OĂč trouver le documentaire âRupturesâ dâArthur Gosset ?
đ âRupturesâ est disponible en ligne sur la plateforme Spicee. Il a Ă©tĂ© Ă©lu coup de cĆur du jury du Festival de Cannes dans la nouvelle catĂ©gorie âFestival international du film Ă©cologique et socialâ.