À retenir :
- Le déclassement social concerne ceux qui occupent une position inférieure à celle de leurs parents malgré leur qualification.
- Le paradoxe d'Anderson montre qu'un diplôme supérieur n'assure pas automatiquement une avancée sociale.
- La baisse du rendement social des diplômes accroît la compétition pour les postes et limite l'émancipation sociale.
- Comprendre le déclassement social et le paradoxe d'Anderson nécessite de regarder au-delà des simples catégories professionnelles.
Comment expliquer le déclassement social ?
Le déclassement social désigne la situation où une personne occupe une position sociale inférieure à celle de ses parents ou à celle attendue au vu de son niveau de qualification. Ce concept concerne aussi bien des jeunes diplômés que des actifs expérimentés. Quels types de déclassement distinguent les sociologues ?
D'après l'Insee, près de 15% des actifs déclarent connaître une forme de déclassement, qu'il soit scolaire, professionnel ou générationnel (source : Insee, France Portrait Social 2023). Trois formes principales émergent : le déclassement intergénérationnel (comparé à la position sociale des parents), le déclassement intragénérationnel (perte de statut social au cours de la carrière) et le déclassement scolaire (emploi inférieur à la qualification).
Déclassement intergénérationnel et mobilité sociale
Parmi les jeunes adultes, le risque d'occuper un métier inférieur à celui des parents s'est renforcé depuis trente ans. La mobilité sociale désigne ici la capacité à progresser sur l'échelle sociale entre deux générations. Actuellement, seuls 38% des enfants d'employés et 52% des enfants d'ouvriers atteignent une position plus élevée que celle de leur père (Insee, Tableaux de l'économie française, édition 2024). Pour mieux appréhender ce phénomène, il peut être utile d'explorer les dynamiques de la mobilité sociale.
L'évolution du marché de l'emploi, la polarisation des métiers et la massification scolaire expliquent ce mouvement. Bien que le taux d'accès au baccalauréat dépasse aujourd'hui 80% d'une classe d'âge (contre 33% en 1985, Ministère de l'Éducation nationale), décrocher un diplôme ne garantit plus systématiquement une ascension sociale.
Le poids du diplôme et la notion de rendement social
La massification de l'enseignement supérieur a engendré une baisse du rendement social du diplôme. Lorsque le niveau de formation augmente pour tous, la rareté du diplôme diminue ainsi que sa rentabilité : il y a plus de titulaires pour certains postes et moins d'emplois qualifiés disponibles.
En 2022, selon l'Insee, 22% des jeunes diplômés de bac+2 à bac+3 occupaient un emploi ne correspondant pas à leur qualification trois ans après l'obtention du diplôme (Enquête Génération DARES 2022). Le sentiment de déclassement progresse parmi les actifs, révélant une inquiétude quant aux perspectives offertes par le système éducatif.
Le paradoxe d'Anderson : pourquoi le diplôme ne suffit-il plus ?
Le paradoxe d'Anderson, formulé par le sociologue Paul-André Anderson dans les années 1960, met en évidence qu'un jeune peut obtenir un diplôme supérieur à celui de ses parents sans améliorer sa position sociale (“Anderson, Les étudiants et leurs études, 1961”).
Ce paradoxe illustre la complexité de la mobilité sociale aujourd'hui. Pourquoi observe-t-on cette déconnexion entre le diplôme obtenu et le statut social réel ?
Mécanismes du paradoxe d'Anderson : diplôme et emploi
Plusieurs facteurs structurent le paradoxe d'Anderson :
- L'inflation des diplômes réduit leur valeur distinctive sur le marché du travail.
- Les évolutions économiques dévalorisent certains secteurs d'activité autrefois prisés.
- Le chômage des jeunes limite l'accès à des emplois qualifiés.
- Certains emplois intermédiaires stagnent en termes de salaire et de prestige.
Comme le soulignait Anderson : “Le diplôme améliore la position relative, mais la structure sociale évolue plus vite que les ambitions individuelles” (“Les étudiants et leurs études”, 1961). Aujourd'hui, posséder un diplôme n'assure ni promotion sociale, ni maintien du statut familial.
Exemples concrets et chiffres récents
Prenons un cas fréquent : un enfant d'ouvrier obtient une licence universitaire, espérant accéder à une meilleure position sociale. Sur le marché du travail, il devient employé administratif : ce poste, parfois jugé moins prestigieux que celui de technicien exercé par son parent, incarne alors le paradoxe d'Anderson.
En 2022, seuls 25% des recrutements de cadres concernaient des débutants (Apec, Baromètre jeunes diplômés, 2023). L'écart de salaire médian à l'embauche entre titulaires de master et de BTS/DUT se réduit dans certaines filières, diminuant la rentabilité du diplôme (DARES, Enquêtes Emploi 2022).
Quels impacts sur les parcours individuels et collectifs ?
Le déclassement social et le paradoxe d'Anderson influencent profondément l'expérience des jeunes générations face à l'avenir. Nombreux sont ceux qui ressentent frustration et injustice devant la difficulté d'obtenir un emploi à la hauteur de leurs qualifications. Cela remet en question le modèle méritocratique et le rôle central du diplôme dans la mobilité sociale ascendante.
À l'échelle collective, la baisse du rendement social des diplômes accroît la compétition pour les positions sociales élevées, creuse les écarts entre groupes sociaux et limite les possibilités d'émancipation des milieux populaires. Le fonctionnement du marché du travail, la sélectivité à l'embauche et le changement rapide des métiers accentuent ces tendances.
Erreurs fréquentes concernant le déclassement social et le paradoxe d'Anderson
On pense souvent que diplôme rime forcément avec progression sociale. Or, le paradoxe d'Anderson montre que le lien entre diplôme et ascension sociale n'est pas automatique. Se limiter à la catégorie professionnelle sans tenir compte du contexte familial ou de la trajectoire personnelle fausse l'analyse.
Il faut aussi distinguer déclassement scolaire et déclassement social : un individu surdiplômé pour son poste vit un déclassement lié à la relation entre diplôme et emploi, mais peut garder un statut social supérieur à celui de ses parents si l'on considère d'autres critères (revenu, prestige, capital culturel…). Imaginer que chaque génération connaîtra une mobilité ascendante est réducteur : la structure socio-professionnelle change moins rapidement que les aspirations individuelles, comme l'a montré Anderson.
Face à ces constats, comment pensez-vous que la valeur du diplôme et la perception de la mobilité sociale évolueront dans la prochaine décennie ?


