Qu'est-ce que l'intersectionnalité et pourquoi croise-t-elle genre, classe et origine ?

Mis à jour le  - CC BY 4.0

Avez-vous déjà observé comment une femme issue d'un milieu populaire, appartenant à une minorité ethnique, peut rencontrer des injustices différentes de celles vécues par un homme du même quartier ou par une femme d'une classe sociale élevée ? Pour comprendre ces situations complexes, la notion d'intersectionnalité propose d'analyser ensemble les effets du genre, de la classe sociale et de l'origine ethnique sur les parcours individuels et collectifs.

À retenir :

  • L'intersectionnalité analyse l'influence combinée du genre, de la classe sociale et de l'origine ethnique sur les discriminations vécues par les individus.
  • Le concept souligne l'imbrication de ces identités, montrant que les discriminations ne s’additionnent pas mais créent des phénomènes spécifiques.
  • L'approche intersectionnelle affine la compréhension des politiques sociales en ciblant mieux les inégalités cumulées dans l'emploi, l'éducation et le logement.
  • Éviter les erreurs comme l'isolement des discriminations et l'absence de données croisées assure une lutte plus efficace contre les inégalités.

Que signifie le concept d'intersectionnalité ?

L'intersectionnalité désigne un cadre d'analyse qui permet d'étudier la manière dont plusieurs rapports de domination - tels que le sexisme, le racisme et la hiérarchie sociale - se conjuguent chez certaines personnes. Ce terme, introduit dans les années 1980 par la juriste Kimberlé Crenshaw (« Demarginalizing the Intersection of Race and Sex », 1989), cherche à dépasser l'approche consistant à examiner chaque forme de discrimination séparément.

À travers ce prisme, on considère qu'une personne peut être confrontée à des discriminations multiples, non réductibles à une seule cause. Ainsi, une femme immigrée salariée n'affronte pas uniquement le sexisme ou la précarité liée à la classe, mais aussi l'ethnicisation de sa position au travail, produisant des formes d'oppression spécifiques souvent invisibilisées.

Pourquoi articule-t-on systématiquement genre, classe sociale et origine ethnique ?

Imbrication des identités et rapport aux discriminations multiples

Chaque individu appartient à différentes catégories sociales : selon son genre, sa classe sociale, son origine ethnique (ou perçue comme telle, certains chercheurs parlent ici de « race sociale »). L'imbrication des identités crée des réalités particulières. Par exemple, l'Insee a montré en 2022 que les femmes issues des « groupes africain ou maghrébin » cumulent les taux de chômage élevés liés à leur lieu de résidence avec ceux, supérieurs de 2,6 points par rapport aux hommes, dus au genre (Insee, portrait social 2022).

Les politiques publiques françaises tentent parfois de répondre à une forme unique de discrimination, alors que la plupart des individus subissent ces processus simultanément. D'après l'enquête "Inégalités d'accès aux droits et discriminations en France" publiée en 2023 par le Défenseur des Droits : en 2020, 26,4 % des femmes perçues comme non-blanches déclarent avoir subi au moins une discrimination au cours des cinq dernières années. Cette statistique illustre la nécessité d'approches modernes de la structure sociale pour saisir la portée réelle de la marginalisation.

Effets cumulés sur les parcours sociaux et économiques

Le cumul des dominations ne produit pas simplement une addition des difficultés : il engendre de nouvelles formes de vulnérabilité. Un exemple marquant concerne l'accès à l'emploi. Selon la DARES (2023), les candidatures d'hommes issus de minorités sont retenues dans 17 % des cas contre 29 % pour leurs homologues sans ascendance migratoire, tandis que ce chiffre descend à 12 % pour les femmes issues de minorités.

Le phénomène d'intersectionnalité influe également sur la mobilité sociale. Les enfants d'immigrés, particulièrement les filles, rencontrent plus d'obstacles scolaires s'ils appartiennent à une famille modeste. L'enquête PISA (OCDE, 2019) montre que l'écart de réussite entre élèves issus de l'immigration et les autres est accentué dans les foyers populaires, illustrant la superposition des inégalités (OCDE, PISA, 2019).

Comment l'intersectionnalité aide-t-elle à penser les politiques sociales ?

Analyse fine des mécanismes de domination

Une étude rigoureuse de l'intersectionnalité permet d'appréhender la façon dont chaque sphère - école, emploi, logement - filtre différemment les chances et les contraintes selon l'imbrication des situations individuelles. Par exemple, une politique strictement axée sur la lutte contre le sexisme n'agit pas forcément sur les discriminations raciales vécues au sein du monde du travail.

Sociologues et économistes rappellent que les statistiques globales masquent la diversité des parcours, d'où l'intérêt, dès la collecte des données, de croiser les variables relatives au genre, à la catégorie sociale et à l'origine. Le Collectif Dejean (2018), dans “Découper les discriminations”, insiste sur cette dimension quantitative car elle éclaire les dynamiques structurelles difficiles à détecter autrement.

Mise en œuvre de dispositifs adaptés

Prendre en compte l'intersectionnalité conduit à développer des outils mieux ciblés. Plusieurs collectivités locales testent, par exemple, le mentorat scolaire prioritaire pour filles vivant dans des zones urbaines défavorisées identifiées par des critères sociaux et migratoires (programme REP+, Éducation nationale, 2022).

D'autres mesures visent explicitement à reconnaître l'imbrication des facteurs. La Halde, ancêtre du Défenseur des droits, notait déjà que « la capacité à traiter les inégalités requiert la compréhension des modalités spécifiques d'accumulation des obstacles à l'emploi ou au logement » (Rapport Halde, 2007). Cet angle favorise donc des réponses institutionnelles plus justes et efficaces.

Quelles erreurs fréquentes doit-on éviter concernant l'intersectionnalité ?

Aborder les discriminations de façon isolée conduit souvent à négliger ou minimiser la réalité vécue par celles et ceux qui vivent à l'intersection de plusieurs oppressions. Une autre méprise consiste à survaloriser une dimension (par exemple le seul genre) au détriment de l'ensemble du système d'inégalités imbriquées.

  • Réduire l'oppression à une voie unique (genre ou classe sociale ou origine)
  • Oublier que les effets de l'intersectionnalité sont spécifiques et non égaux à la simple addition des problèmes
  • Ignorer le rôle clé des catégories sociales et des représentations dans la stigmatisation

L'absence de données croisées rend difficile le repérage des phénomènes d'exclusion, ce qui restreint l'efficacité des actions menées. Adopter une vision intersectionnelle suppose donc des analyses minutieuses et le refus des simplifications hâtives.

À votre avis, comment une meilleure prise en compte de l'intersectionnalité pourrait-elle transformer la lutte contre les inégalités dans notre société ?

Questions fréquentes sur l'intersectionnalité, genre, classe et origine 🔍

Trouver un prof particulier de SES