À retenir :
- La justice sociale interroge les inégalités légitimes, en analysant l'utilitarisme, le libertarisme et l'égalitarisme comme visions concurrentes.
- L'utilitarisme accepte les inégalités si elles maximisent le bien-être global, mais limite les écarts qui réduisent la satisfaction collective.
- Le libertarisme promeut l'égalité des droits et justifie les écarts liés aux choix et mérites individuels, limitant la redistribution obligatoire.
- L'égalitarisme prône la réduction des écarts pour garantir l'égalité des chances et des situations, par des politiques publiques ciblées.
Décoder les principales conceptions de la justice sociale
Quand on évoque la justice sociale, il s'agit de déterminer ce qui est légitime dans la répartition des biens, droits ou positions sociales. Trois grands courants structurent ce débat : l'utilitarisme, le libertarisme et l'égalitarisme. Chacun propose une lecture particulière de l'équité et de l'acceptabilité des écarts entre individus.
L'utilitarisme privilégie l'utilité commune, cherchant à maximiser le bien-être global. Le libertarisme insiste avant tout sur l'égalité des droits et la liberté individuelle de disposer de ses ressources. L'égalitarisme met quant à lui l'accent sur la réduction des écarts pour assurer une réelle égalité des situations ou des chances (Rawls, Théorie de la justice, 1971). Ces approches déterminent quelles inégalités peuvent être admises au nom de la justice sociale.
Quelle place l'utilitarisme accorde-t-il aux inégalités ?
L'utilité commune comme critère principal
D'après l'utilitarisme, défendu par Bentham puis Mill, une société juste maximise le bonheur total de ses membres. Les inégalités ne posent pas problème tant qu'elles contribuent à augmenter l'utilité commune. Si une différence de revenu stimule l'innovation ou l'investissement, elle peut être jugée compatible avec la justice sociale sur ce plan (Bentham, Introduction aux principes de morale et de législation, 1789). Pour approfondir ces notions, vous pouvez consulter les théories de la justice sociale.
Prenons l'exemple des incitations salariales : selon l'enquête Insee Emploi 2023, le salaire médian brut des cadres atteint 3 700 € contre 1 800 € pour les ouvriers. Du point de vue utilitariste, cet écart se tolère si, dans l'ensemble, la production et le bien-être social augmentent grâce à l'effort individuel récompensé.
Limites et applications concrètes
Des critiques émergent lorsque les inégalités deviennent trop fortes et abaissent le niveau général de satisfaction, notamment quand la pauvreté augmente. Selon l'Insee, en 2022, environ 9,1% de la population vivait sous le seuil de pauvreté, un facteur nuisible à la cohésion sociale (Insee, France, portrait social, édition 2023). L'utilitarisme appelle ainsi à limiter les écarts quand ils génèrent frustration et tensions collectives.
La logique d'un impôt progressif s'appuie souvent sur ce principe : redistribuer une partie des hauts revenus vers les plus modestes permettrait de relever le bien-être global. Cette démarche justifie aussi des politiques publiques ciblant les inégalités scolaires, afin que leur correction serve le plus grand nombre.
Le libertarisme : la priorité à l'égalité des droits
Libre disposition et droit de propriété
Chez les penseurs libertariens comme Nozick, seul compte le respect strict des droits individuels : toute inégalité découlant d'une libre transaction est justifiée. Il n'y a pas de faute à ce que deux personnes jouissent de fortunes très différentes si ces résultats viennent de leur propre choix et mérite (Nozick, Anarchie, État et utopie, 1974).
Par exemple, un concours promeut l'égalité des chances, chaque candidat disposant du même accès à la compétition. Les déséquilibres issus des résultats seront alors considérés légitimes, sans nécessité de corriger les inégalités de revenus ou de patrimoine, sauf en cas de vol ou de fraude avérée.
Effets pratiques sur les inégalités observées
En France, l'individualisation de la réussite demeure parfois un argument libertarien : certains estiment négligeables les aides correctrices face aux inégalités liées à l'origine sociale, préférant valoriser le libre arbitre. Pourtant, parmi les enfants d'ouvriers, seuls 33% obtiennent un diplôme du supérieur contre 62% des enfants de cadres (Insee, 2023, Rapport formation diplômante). Des écarts difficilement imputables à la seule volonté individuelle, ce qui alimente le débat sur la portée réelle de l'égalité des droits “à l'entrée”.
Côté fiscalité, le libertarisme limite la redistribution obligatoire au strict minimum, ce qui entretient parfois des écarts substantiels, particulièrement visibles dans les inégalités de genre ou autres discriminations structurelles peu corrigées.
L'égalitarisme et la recherche d'équité
Vers l'égalité des situations et des chances
L'égalitarisme vise une réduction active des écarts de conditions ou de ressources entre individus. Rawls affirme que la justice exige non seulement l'égalité des droits mais aussi des institutions donnant à chacun un accès équitable aux ressources et opportunités essentielles. Les inégalités ne sont justifiables que si elles profitent aussi aux plus défavorisés.
Ce courant conduit à privilégier l'égalité des chances, selon laquelle tous devraient pouvoir développer leur potentiel indépendamment de leur origine sociale ou de genre. Mais il s'intéresse également à l'égalité des situations, c'est-à-dire aux résultats concrets : réduire l'écart de salaires, les disparités d'accès au logement ou à la santé.
Politiques publiques et impact statistique
Un certain nombre de politiques françaises relèvent d'une logique égalitariste : dotations spécifiques pour les écoles REP+, accès contingenté à Sciences Po pour les élèves de zones défavorisées, revalorisations du SMIC par rapport à l'inflation (+2,2% en mai 2023 selon la DARES). Ces mesures cherchent non seulement à garantir l'égalité des droits, mais à compenser activement les handicaps initiaux.
Toutefois, des obstacles subsistent. Par exemple, l'écart de rémunération moyen entre femmes et hommes reste de 15,8% en faveur des hommes (Insee, Dossier Femmes et Hommes, 2023). Quant à la mobilité sociale, 70% des fils d'ouvriers restent ouvriers ou employés, un chiffre stable depuis des décennies malgré différentes politiques d'égalité des chances (OCDE, Données Panorama Social 2023).
Erreurs fréquentes sur la notion d'inégalités compatibles avec la justice sociale
- Confondre égalité des droits (accès formel à une ressource) et égalité des chances (absence de barrières issues de l'origine sociale ou du genre).
- Nier l'existence d'inégalités scolaires ou fiscales sous prétexte de méritocratie intégrale.
- Considérer que la suppression totale des inégalités serait réalisable rapidement, alors que les données montrent la persistance de certains écarts malgré les actions publiques.
- Penser que toutes les inégalités bénéficient toujours au plus grand nombre sans distinguer celles fondées sur l'arbitraire ou la discrimination.
Finalement, la question centrale demeure : comment concilier la reconnaissance des différences individuelles et la recherche collective d'équité ? À votre avis, quelles inégalités vous semblent justifiables aujourd'hui et pourquoi ?


