À retenir :
Quels mécanismes relient progrès technique et inégalités de revenus ?
Le progrès technique désigne l'ensemble des innovations qui permettent d'accroître la productivité, d'améliorer les savoir-faire ou de créer de nouveaux produits. Il agit comme un levier pour enrichir le pays mais déclenche aussi une polarisation du marché du travail. Cette évolution touche différemment les individus selon leur niveau de qualification, ce qui transforme la structure des revenus du travail.
Par exemple, l'automatisation remplace fréquemment les emplois peu qualifiés alors que les postes hautement qualifiés dans la gestion, l'ingénierie ou l'analyse de données gagnent en valeur. D'après l'INSEE (2023), le salaire horaire moyen d'un cadre atteint près de trois fois celui d'un ouvrier non qualifié. Depuis vingt ans, la numérisation accélère cette tendance, accentuant la différence salariale entre catégories professionnelles.
Comment se manifeste la polarisation du marché du travail ?
Le progrès technique bénéficie principalement à ceux qui possèdent les compétences recherchées. Les métiers exigeant un haut niveau d'étude ou une forte polyvalence profitent généralement d'une progression des revenus du travail. Par exemple, les spécialistes en intelligence artificielle, cybersécurité ou gestion des données connaissent depuis 2015 une hausse moyenne de salaire de +12 % par an (Dares, 2022).
Plusieurs études ont cherché à comprendre les causes économiques des inégalités qui découlent de cette transformation du marché du travail, mettant l'accent sur le fait que le progrès technique tend à accroître la demande pour certains profils tout en dévalorisant d'autres compétences.
À l'inverse, les emplois routiniers – qu'ils soient manuels ou administratifs – se révèlent particulièrement vulnérables face à la suppression engendrée par les robots ou logiciels performants. Selon l'OCDE (2023), 14 % des postes français risquent l'automatisation, surtout parmi les tâches répétitives. Cela exerce une pression sur les salaires des personnes peu diplômées et pousse à la reconversion vers des secteurs moins exposés. Cette dynamique creuse davantage les écarts de revenus au sein des entreprises et des branches d'activité.
Pourquoi le progrès technique accentue-t-il la part des revenus du capital ?
L'innovation favorise également les détenteurs de capital – machines, brevets, actions –, ce qui augmente la concentration des profits. Selon Thomas Piketty (“Le capital au XXIe siècle”, 2013), les revenus du capital progressent plus rapidement que les revenus du travail quand leur rendement dépasse celui de la croissance économique.
En France, la part des dividendes et plus-values dans le revenu global a connu une augmentation de 13 % entre 2000 et 2022 (France Stratégie). Cette évolution illustre comment le progrès technique contribue à l'enrichissement disproportionné des actionnaires et propriétaires d'entreprise, aggravant les inégalités de revenus avec ceux qui dépendent de leur activité professionnelle.
L'impact varie aussi selon les territoires. Certains centres urbains ou bassins industriels tirent bénéfice des innovations grâce à des opportunités accrues dans les secteurs technologiques. À l'inverse, les zones rurales ou anciennement industrielles souffrent davantage de la désindustrialisation liée aux nouvelles méthodes de production. Selon Eurostat (2021), l'écart de revenu médian disponible atteint 25 % entre les dix départements les plus riches et les dix plus pauvres, montrant que le progrès technique renforce les disparités à différentes échelles géographiques.
Quels sont les principaux risques d'augmentation des inégalités liés au progrès technique ?
Si le progrès technique dope la croissance, il rend aussi plus instables les trajectoires individuelles. Certains perdent leur emploi sans possibilité rapide de reconversion, alors que d'autres voient leur pouvoir d'achat s'améliorer nettement. L'absence de réaction institutionnelle adaptée, comme une formation continue insuffisante ou des dispositifs sociaux mal calibrés, aggrave ces disparités.
Les conséquences directes incluent :
- Risque de chômage prolongé pour les moins diplômés
- Concentration des hauts revenus chez les experts du numérique
- Montée de la précarité dans les emplois de service non automatisables
- Croissance supérieure des revenus du capital par rapport à ceux du travail
Pour inverser cette tendance, il devient nécessaire d'investir massivement dans l'éducation et la transition professionnelle, tout en développant des politiques actives d'accompagnement des mutations du marché du travail.
Erreurs fréquentes à propos du lien entre progrès technique et inégalités de revenus
Certains raisonnements simplifient trop les effets du progrès technique, en se focalisant uniquement sur ses avantages économiques immédiats et en négligeant ses impacts différenciés. Quelques confusions courantes méritent d'être relevées :
- Supposer que toute innovation profite également à tous les salariés
- Négliger les conséquences territoriales et sectorielles du changement technologique
- Sous-estimer la nécessité d'investir dans la formation continue
Des travaux classiques soulignent la double nature du progrès : « Les Trente Glorieuses » (Fourastié, 1979) montrent que la redistribution publique compense souvent – mais imparfaitement – les pertes liées à la destruction créatrice évoquée par Schumpeter.
Selon vous, comment les sociétés pourraient-elles mieux partager les fruits du progrès technique tout en limitant l'accroissement des inégalités de revenus ?







