Qu'est-ce que la segmentation du marché du travail et pourquoi est-elle importante ?

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Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi tous les emplois ne se ressemblent pas, ni en termes de conditions, ni de trajectoires professionnelles possibles ? Penser le marché du travail comme un espace uniforme serait une erreur : on y observe bien plus de différences qu'il n'y paraît au premier abord. La notion de segmentation du marché du travail permet de comprendre cette diversité et ses conséquences pour les travailleurs ainsi que pour l'économie.

À retenir :

  • La segmentation du marché du travail se définit par la division du marché en segments distincts, séparant les emplois selon la stabilité des contrats, la rémunération, et le groupe social.
  • Le marché s'articule autour de deux grands segments : le marché primaire, regroupant les emplois stables et bien rémunérés, et le marché secondaire, associant précarité et faibles perspectives d'évolution.
  • La segmentation complique la mobilité entre segments, accentue les inégalités et remet en cause l'égalité des opportunités sur le long terme.
  • Des solutions pour réduire la segmentation incluent le relèvement du Smic, la sécurisation des parcours professionnels et la flexibilisation accompagnée d'une forte sécurité.

Comment définir la segmentation du marché du travail ?

Aucun travailleur n'évolue dans un univers totalement homogène. Le marché du travail segmenté désigne une situation où il existe plusieurs marchés du travail, séparant différentes catégories d'emplois et groupes de travailleurs selon certains critères.

La théorie de la segmentation indique qu'au lieu d'un marché unique régulé par la simple offre et demande, le marché du travail se divise en segments ou partitions relativement étanches. Les recherches pionnières menées aux États-Unis dans les années 1970, notamment par Doeringer et Piore (« Internal Labor Markets and Manpower Analysis », 1971), identifient deux grands segments : le marché primaire et le marché secondaire du travail.

Quels sont les principaux critères de segmentation ?

Les critères de segmentation varient selon les contextes, mais ils concernent souvent la stabilité des contrats, la rémunération, la protection sociale, le niveau de qualification exigé et parfois même l'appartenance à certains groupes sociaux.

En France, les chiffres Insee montrent ce phénomène : parmi les 26,6 millions d'emplois salariés au quatrième trimestre 2023, 87% étaient des emplois stables (CDI ou fonctionnariat), tandis que 13% relevaient de contrats précaires (CDD, intérim). Cette distinction recoupe largement la séparation entre marché primaire (emplois stables) et marché secondaire (instabilité, peu d'avantages collectifs).

Pourquoi existe-t-il plusieurs marchés du travail ?

L'hétérogénéité du marché du travail provient de facteurs variés : stratégies d'entreprise, réglementation, mobilité réduite des travailleurs, discriminations. Selon l'OCDE, près de 15% des travailleurs français occupaient un emploi dit « atypique » en 2023, surtout chez les jeunes ou les moins diplômés (source : OCDE Employment Outlook 2023).

Le manque de mobilité entre segments s'explique par de multiples barrières : exigences de formation, absence de reconnaissance des expériences précédentes, différences de réseaux sociaux et professionnels. Pierre Bourdieu résume : "Le marché du travail présente toutes les propriétés d'un univers de concurrence imparfaite" (Bourdieu, Questions de sociologie, 1980).

Marché primaire et marché secondaire : quelles caractéristiques ?

Pour mieux cerner cet enjeu, il convient aussi de bien saisir le fonctionnement du marché du travail. Regardons de plus près ces deux grandes partitions du marché du travail. Le marché primaire regroupe les emplois stables, bien rémunérés, avec des droits collectifs importants (retraite, assurance chômage, promotion interne). Il attire généralement des profils qualifiés bénéficiant de protections accrues.

À l'opposé, le marché secondaire concerne principalement les postes précaires : intérim, CDD courts, temps partiel subi. Ces emplois affichent de faibles salaires, peu d'accès à la formation, quasiment aucune perspective d'évolution, et une faible appartenance syndicale.

Des exemples du quotidien

Prenez le cas d'un agent administratif titulaire de la fonction publique comparé à un livreur à vélo sous contrat précaire. L'un bénéficie d'environ 56 jours de congés payés annuels, perçoit plus de 1 600 euros net mensuel, accède à la formation professionnelle via son employeur public. L'autre multiplie les petits contrats, gagne autour du Smic (1 398 € net en 2024, source DARES), sans protection contre la maladie ou le chômage (Insee, Tableaux de l'économie française, édition 2024).

Cette dualité nourrit des niveaux de satisfaction très différents, mais aussi des inégalités durables. Une enquête Eurostat (Labour Force Survey, 2023) révèle que seuls 38% des emplois atypiques aboutissent à une embauche pérenne sous trois ans, contre 79% pour les CDI.

Tableau comparatif du marché primaire et secondaire

CaractéristiquesMarché primaireMarché secondaire
Type de contratCDI, statut, fonctionnariatCDD, intérim, indépendant non protégé
Salaire moyenSupérieur à la moyenne (Insee : environ 2 500 € nets/mois)Près du Smic (Insee : 1 398 € nets/mois)
Perspectives d'évolutionNombreuses (promotion, formation interne)Très limitées
Protection socialeForteFaible
Taux de syndicalisationÉlevé (environ 10 %)Faible (autour de 5 %)

Les enjeux liés à la segmentation du marché du travail

Pourquoi la segmentation du marché du travail suscite-t-elle autant de questions ? Elle remet en cause le principe d'égalité sur le long terme et complique la mobilité entre segments, avec des effets mesurables sur tout le tissu social. Les données France Travail indiquent que passer d'un emploi précaire à un poste stable prend en moyenne 20 mois, contre 7 mois pour un salarié en CDI changeant d'employeur (France Travail, rapport 2023).

L'existence de plusieurs marchés du travail soulève aussi la question de la cohésion sociale, car les partitions du marché du travail renforcent la présence de groupes de travailleurs vulnérables. De nombreux économistes avancent que diminuer les obstacles à la mobilité pourrait améliorer la productivité globale et réduire les inégalités persistantes (OCDE, 2022).

  • Stabilité accrue pour certains travailleurs, précarité pour d'autres
  • Difficultés d'accès à la formation ou à la promotion interne selon le segment
  • Risques de trappes à bas revenus et frein à l'ascension sociale
Erreurs fréquentes
  • Penser que la segmentation du marché du travail ne touche que quelques métiers manuels : elle affecte aussi le tertiaire et les professions intermédiaires.
  • Confondre précarité et chômage : un poste précaire reste un emploi, mais il peut signifier une instabilité durable.
  • Imaginer qu'il suffit de la volonté individuelle pour changer de segment facilement : la mobilité demeure limitée par des facteurs structurels.

En observant la segmentation du marché du travail, comment pensez-vous que les politiques publiques pourraient favoriser une meilleure mobilité entre segments et réduire les inégalités persistantes ?

Questions courantes sur la segmentation du marché du travail 🔍

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